Les Ilaln
Les Ilaln
Depuis longtemps, la confédération des Ilaln occupe le versant nord de l’Anti-Atlas, au Nord-Nord-Ouest des Aït Abdallah. Ce sont eux qui possédaient la Charte originale des greniers-citadelles ( igoudar ) : La Charte d’Ajarif à laquelle adhéraient toutes les tribus de l’Anti-Atlas occidental et central.
Au 16ème siècle, Léon l’Africain disait d’eux : « Ce sont des hommes nobles et vaillants ; ils ont une grande quantité de chevaux. Ils se font constamment la guerre entre eux pour une mine d’argent dans la montagne et les vainqueurs jouissent du revenu de la mine ». Les Ilaln disent qu’ils sont originaires de Tamdoult Ouaqqa ( près de l’actuelle Aqqa ) tout comme les tribus Aït Ba Aâmrane Ouaqqa, les Issaffene, les Ida Oukensous et les Ida Oultit.
Les causes de l’exode de ces tribus sont difficiles à connaître vu que nous ne disposons que de traditions locales et de récits légendaires. Nous pouvons, néanmoins, en tirer les principaux traits :
Tamdoult était une très grande cité qui sélevait autrefois dans le Sud du pays d’Aqqa, près de Tizounine ; elle était si peuplée et si fréquentée que sept fois par jour, il fallait réparer le seuil de ses portes. Et ce n’était en tous lieux que danses mêlées à des chants, depuis le moment où le soleil paraît sur la colline jusqu’au moment où il s’en va.
A Tamdoult vivait Abdelwahad-Ou-Ali-Ou-Aïssa, homme qui avait des biens ; il passait ses jours dans un beau jardin élevé où mûrissaient de belles dattes et des grenades, mais ce malheureux n’avait pour enfants que des filles au nombre de sept. Aussi était-il sans appui, méprisé par toute la tribu dont il avait à subir l’oppression. Le mépris de la tribu se manifestait avec insolence, tant et si bien que sept jours de suite, l’une de ses filles appelée Maryam se vit enlever le repas qu’elle portait à son père occupé dans ses jardins.
Voyant cela, le huitième jour, Maryam cacha les mets sous une couche de son et réussit à parvenir jusqu’à lui Abdelwahad se mit alors dans une grande colère et s’écria : « Suis-je donc un chien ? ». Ce à quoi Maryam répliqua : « Père, le chien fils de chien est celui qui n’a pas de frères ! ».
L’homme découvrit alors l’infortune de son misérable sort et prononça un serment sacré : « Puisque je suis un pauvre homme aux yeux des gens de Tamdoult, je ferai fondre sur eux la ruine ! Aucune nourriture ne passera par ma gorge avant que je sache s’il faut accepter l’injustice qui s’est abattue sur mes enfants ! ».
Abdelwahab se prépara à aller demander du secours et à prendre sa revanche : il s’adressera à l’Amghar Mohammed-Ou-Ali Amensag Afrani, de la tribu des Imjatten, de Tizelmi, Quaïd d’Ifrane de l’Anti-Atlas. Afin de l’émerveiller, il fit poser à son cheval des fers d’argent fixés avec des clous d’or. Puis il se mit en route.
Avant de continuer, précisons que le surnom de Abdelwahab était Akensouss, ancêtre des Ida Oukensouss. C’est en souvenir du stratagème de Maryam qu’ils sont appelés « Bou Ilammen ( ceux qui mangent du son ) ».
Après quelques jours de voyage, Abelwahab arriva chez l’Amghar qui l’invita à prendre le repas du soir mais il s’y refusa en prononçant ces paroles : » Par Dieu ! J’ai juré que rien ne passera par ma gorge avant de savoir s’il faut accepter l’injustice qui pèse sur mes enfants ! ». Et il entreprit de décider son hôte à lui accorder son appui, faisant miroiter à ses yeux toutes les richesses que lui livrerait la prise de Tamdoult. Ebloui par ces mirages, Amensag consnetit à le venger et, tandis qu’Abdelwahab regagna Tamdoult, il donna ses ordres, faisant ferrer les chevaux à l’envers pour surprendre la proie dont il veut s’emparer : « Allons les forgerons ! Qu’on ferre tout à neuf, les talons des fers tournés par devant ! Allons, les bons fusils à pierre, qu’on les charge ! Les bons fusils à pierre, ce sont eux les saints marabouts avec lesquels nous faisons descendre la malédiction sur ceux qui l’attire ! ».
Ensuite, Amensag sortit, les traces de ses chevaux semblaient mener à Ifrane mais, en vérité, il se dirigeait vers l’Est, vers Tamdoult où il arriva un soir de fête alors que les jeunes gens et les jeunes filles dansaient et chantaient. Dans la ville, les filles d’Abdelwahab attendaient celui qui les délivreraient de la honte. Déjà elles sentaient l’odeur du cuir des selles et Maryam dit : » O mon père ! Je sens l’odeur des mors des chevaux ! ». Toutes sept se retirèrent alors de la danse et allèrent allumer un feu sur leur terrasse pour signaler à l’assaillant que l’heure et l’endroit étaient favorables à l’attaque. Apercevan le signal attendu, Amensag et ses hommes se lancèrent à l’assaut de Tamdoult où ils entrèrent par surprise : entre le crépuscule et la nuit, les gens furent anéantis et la ville détruite. Désormais la ville était morte. Souvent encore la nuit, dans les ruines, on entend s‘élever des cris et des chants comme au temps où elle était une cité de plaisirs et de fêtes.
Telles sont les traditions légendaires ayant trait à la destruction de Tamdoult. Sans doute, comme beaucoup de légendes contiennent-elles une part de vérité mais elles sont trop vagues ou affabulées pour nous faire connaître les causes réelles qui ont entraîné la ruine de la vieille cité.
Certaines traditions en rendent responsables les Arabes Maâqil ; il semble en effet très vraisemblable que les troubles grandissants provoqués par les Maâqil, arrivés au début du 13ème siècle, aient pu aviver les luttes intestines et ruiner le commerce dont s’enrichissait Tamdoult jusqu’à son anéantissement. Celui-ci pourrait ne s’être accompli qu’à la fin de l’époque almohade ou au début des Mérinides, peut-être dans la première moitié du 14ème siècle, car les monnaies d’or retrouvées par les bergers dans les ruines de Tamdoult étaient almohades. D’autre part, c’est aussi au 14ème siècle que les traditions de certaines tribus de l’Anti-Atlas font remonter l’exode de leurs ancêtres les Ilalen. Par ailleurs, Ibn Khaldoun qui écrit à la fin du 14ème siècle ne mentionne pas l’existence de Tamdoult. On peut encore remarquer que les fusils à pierre n’existaient pas encore au Maroc à cette époque.
Quoi qu’il en soit, traditions et légendes s’accordent pour dire que la ruine de la cité entraîna l’exode de ses habitants ( première moitié du 14ème siècle ).
Après la ruine de Tamdoult Ouaqqa, les gens émigrés s’installèrent à proximité de Tata, aux dépens des Aït Tzoullite qui s’y trouvaient et furent par la suite totalement divisés. A l’époque les tribus se divisaient en deux grandes alliances (amqon) : Les Isouktan et les Igzzoulen. Les gens des Isouktan se seraient installés à Indfiyane, ceux des Igzzoulen à Tamaynout et sur la montagne de Taldnount.
Selon les Ida Oukensouss, Abdelwahab-Ou-Ali-Ou-Aïssa, bien que vengé n’en dut pas moins lui aussi s’expatrier avec sa famille et ses compagnons ; ils se réfugièrent d’abord à Tata sur un piton nommé Isk n Inouar (pic de l’aigle). Puis ils s’installèrent dans la vallée de l’Assif Ilemgert et les environs d’Igherm où ils se trouvent actuellement. Un autre groupe d’habitants de Tamdoult, les Issaffen, se dispersèrent vers le Nord-Nord-Ouest et se fixèrent dans la région qu’ils occupent aujourd’hui.
Sidi Zouzal el-Gezouli, ancêtre des tribus Ida Oultit ( Ida Oubaâqil, Ida Ouguersmouk, Ida Ousemlal ), aurait quitté Tamdoult après la destruction de la cité. Il serait l’arrière-grand-père de Sidi Ahmed-Ou-Moussa, l’ancêtre de la dynastie du Tazeroualt. Sidi Zouzal se serait d’abord fixé chez les Ida Ouguersmouk ainsi que son fils Sidi Driss. Son petit-fils, Sidi Moussa-Ou-Driss, s’installa chez les Ida Ousemlal à Bou Mérouane.
C’est là que naquit Sidi Ahmed-Ou-Moussa vers 1460.
Enfin les Ilaln eux-mêmes conservent la tradition d’avoir jadis quitté Tamdoult après que Amensag s’en fut emparé ; leur groupe forme aujourd’hui un bloc important et compact sur le versant nord de l’Anti-Atlas, au Nord-Ouest d’Igherm. C’est justement de cette zone que parle Léon l’Africain lorsqu’il décrit la montagne des Ilaln, voyons donc comment les traditions rapportent qu’ils y sont venus.
Quittant Tamdoult et s’enfuyant vers le Nord, les Ilaln s’installent d’abord dans la vallée des Issaffen, aux environs de Tizgui n Ida Oubaloul ( 45 km au Nord-Nord-Est d’Aqqa ). Une épidémie de peste survient peu d’années après, si meurtrière que dans les cimetières, il y a dit-on sept sépultures superposées. Fuyant le fléau, les survivants poursuivent leur exode vers le Nord, atteignant les territoires qu’ils occupent aujourd’hui, peut-être vers la fin du 14ème siècle.
Peut-être est-ce vers cette époque que les Ilaln furent désignés sous le nom d’Aït sat Temmad « Les gens au nombre de sept cents ». En tout cas l’installation des Ilaln dans la région des Aït Abdallah où ils se trouvent aujourd’hui ne peut être postérieure à la fin du 14ème siècle car les plus anciens écrits de leurs archives - antérieurs au 15ème siècle - comprennent des fragments de pactes ayant trait au régime et à la délimitation de leurs marches-frontières.
Rien n’indiquent si les territoires où s’installent les Ilalen après leur sortie de Tamdoult sont ou non occupés par d’autres populations mais, 150 ou 200 ans après l’exode, au 16ème siècle, les Ilaln étant devenus très nombreux, ils attaquent leurs voisins Achtouken s’efforçant de les repousser vers le Nord et le Nord-Ouest ( A la fin du 19ème siècle, la frontière entre le bled Makhzen et le bled Siba se trouvait entre les Achtouken soumis et les Ilaln dissidents).
Une lutte assez longue s’engage entre Ilaln et Achtouken, elle sera arbitrée par le saint Sidi Mohammed-Ou-Mbark d’Aqqa ( mort en 1515 ) qui mettra fin à leurs discordes en plantant son bâton dans le sol et en déclarant : « Ici se trouve la limite entre les Achtouken et les Ilaln ». C’est là que s’établit le Souq el-Had des Ilaln ( aujourd’hui disparu ), à la limite de Tasguedelt et des Aït Mzal, non loin des Aït Baha. Léon n’indique pas que les Ilaln ont reconnu l’autorité du Sultan comme l’avait fait leurs voisins Nguiça à l’Ouest ( 1513 ) ; il semble que les Ilaln aient farouchement réussi à sauver leur indépendance jusqu’à l’occupation française en 1934. Chacune de leurs 18 tribus avait son administration séparée. Les Imgharen n’étaient pas héréditaires si ce n’est dans la tribu des Aït Abdallah mais là aussi l’Amghar a plutôt un titre qu’un pouvoir et ne fait que les volontés de l’assemblée de la tribu : l’Anfaliz.
Les Ilaln paraissent donc avoir formé très longtemps un groupement important, cohérent et réputé, notamment entre le 14ème et le 16ème siècles. Il semble que ce soit à cette époque que tous les Ilaln des Igzzoulen se réunirent en assemblée plénière et décidèrent que chacune de leurs tribus édifierait et entretiendrait une medersa, ses professeurs et ses élèves. Dix-sept medersas furent ainsi édifiées dans la région. Cet événement atteste un degré d’organisation, d’évolution et de culture dont on ne connaît guère d’analogue à cette époque dans le Maroc du Sud.
Au 19ème siècle, les Ilaln ne reconnaissent pas le Sultan. Entre 1800 et 1820, Akhennaj, khalifa du Sultan et qaïd des Ihahen, entreprend des tournées de police dans l’Anti-Atlas et tente d’obtenir la soumission des Ilalen. Parti de Tiznit, il réussit à s’avancer jusqu’à Amanouz ( Sud de Tafraout ) pour gagner ensuite Tazalaght et Aferni chez les Aït Abdallah, mais il est chassé par les partisans de l’alliance Igzzoulen auxquels appartiennent les Aït Abdallah ; Akhennaj et son corps expéditionnaire s’enfuient au Nord-Ouest à travers le territoire des Ida Ougnidif pour rejoindre ensuite Taroudant, puis le Gharb.
A la fin du 19ème siècle, sous le règne de Moulay Hassane ( 1873-1894 ), un Amghar des Aït Abdallah, nommé Ahmed, parvient à regrouper sous son autorité tous les Ilaln de la montagne. Son petit-fils, Sidi Brahim, va rendre hommage au Sultan à Fes, il en obtient un dahir de commandement et le sceau traditionnel l’instituant qaïd des Ilaln ( 1869 à 1899 ). Sidi Brahim, bon politique, est un homme intègre et avisé mais il est assassiné par son rival Ahmed-Ou-Qoâna qui prend sa place ( 1899 ). L’anarchie et la division reprennent alors le dessus : l’histoire n’est plus qu’une suite d’intrigues grossières se terminant par les assassinats ou les empoisonnements des Imgharen des Aït Abdallah.
Au 20ème siècle, les tribus des Ilaln sont réparites en deux groupes : les Ilaln Oufella ( Ilaln d’en haut ) et les Ilaln Izdar ( d’en bas). Le lieu de réunino des Ilaln Oufella est Ajarif ( rocher ) ou Agadir Ouaddo ( agadir du vent ) entre les Aït Abdallah, les Aït Ali et les Idouska Oufella. Le lieu de réunion des Ilalen Izdar est El-Hallate ( depuis 1756 ) ; c’est là que se rassemblaient les expéditions et qu’on jugeait les affaires de meurte ou de vol entre tribus. La position d’El-Hallate ne nous est pas connue.
En tout cas, la présence des Ilaln au Maroc - ou de leurs ancêtres - paraît devoir remonter à une époque très ancienne, ils pourraient avoir constitué un important noyau de population du Maghreb extrème. Au cours des siècles et des hasards de l’histoire, d’événements favorables ou funestes, les ancêtres des Ilaln purent être contraints de se déplacer, d’abandonner certaines territoires, d’en occuper d’autres, jusqu’à ce que leurs tribus en viennent à se fixer dans l’Anti-Atlas occidental, là où Léon l’Africain les a signalés et où ils se trouvent encore aujourd’hui.