La Baï’a dans le cadre du droit politique moderne
La Baï’a dans le cadre du droit politique moderne
La question de la succession au trône est en réalité l’acte générateur de l’allégeance qui avalise l’accession au trône du nouveau roi. Elle a donc connu des innovations par rapport au passé en raison de l’évolution formelle vers les schémas de droit politique moderne. |
Quels sont les modèles des actes d’allégeance les plus récents au Maroc ?
La question de la succession au trône est en réalité l’acte générateur de l’allégeance qui avalise l’accession au trône du nouveau roi. Elle a donc connu des innovations par rapport au passé en raison de l’évolution formelle vers les schémas de droit politique moderne.
Depuis l’Indépendance du Maroc en 1956, la succession au trône a été instituée en deux phases : la désignation préalable de l’Héritier du Trône (a) et l’acte d’allégeance proprement dit Baï’a ou Moubaï’a (b).
a. La désignation préalable de l’Héritier du Trône :
-
Le 9 Juillet 1957, à l’occasion du 28ème anniversaire de S.A.R. le Prince Moulay El Hassan, S.M. le Roi Mohammed V le désigna comme « Héritier du Trône », titre octroyé par Dahir n° 219-57-1 après quoi S.M. le Roi et le Prince Héritier prononcèrent ce jour là, à la place du Méchouar (Palais Royal) deux discours historiques qui méritent d’être présents à l’esprit de chaque marocain.
-
La constitution du 13 octobre 1996 dispose en son article 20 :
« La Couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles en ligne directe et par ordre de primogéniture de SA MAJESTE LE ROI HASSAN II, à moins que le Roi ne désigne, de son vivant, un successeur parmi ses fils, autre que son fils aîné. Lorsqu’il n’y a pas de descendants mâles en ligne directe, la succession mâle la plus proche et dans les mêmes conditions ».
La succession est donc constitutionnellement écrite et c’est sur cette base que le Prince Héritier Sidi Mohammed, fils aîné, a succédé à son Père S.M. le Roi Hassan II en juillet 1999.
b. L’acte d’allégeance ou la Baï’a proprement dite :
Depuis l’Indépendance donc, deux actes d’allégeance furent rédigés à l’occasion de l’accomplissement de la procédure d’investiture de Leurs Majestés les Rois Hassan II et Mohammed VI en tant qu’Imams Suprêmes puisque la baï’a est appelée comme tel ÇáÅãÇãÉ ÇáÚÙãì par rapport à l’Imamat mineur ÇáÅãÇãÉ ÇáÕÛÑì c.à.d celui qui permet simplement de présider aux prières quotidiennes ou rituelles dans les mosquées.
c. L’investiture à l’Imamat Suprême de Sa Majesté le Roi Hassan II :
- S.M. le Roi Mohammed V décède le 26 Février 1961 (10 Ramadan 1380).
- S.A.R., Prince Héritier, pris alors deux mesures immédiates et urgentes :
· garantir la sécurité et le maintien de l’ordre sur l’ensemble du territoire ;
· annoncer la nouvelle au peuple à la Maison de la Radio.
- Un acte de baï’a fut immédiatement rédigé au domicile de S.A.R au Souissi et signé par les dignitaires de l’Etat qui y étaient présents.
Mais cet acte était tout à fait formel puisque la succession était déjà assurée depuis le 9 Juillet 1957.
d. L’investiture à l’Imamat Suprême de Sa Majesté le Roi Mohammed VI :
- le décès de Sa Majesté le Roi Hassan II le 23 Juillet 1999 engageait donc automatiquement l’application de l’article 20 de la Constitution en vigueur puisque le nouveau Roi était logiquement Son Altesse Royal le Prince héritier Sidi Mohammed.
- Un acte de baï’a fut également rédigé et signé par un très large aréopage de dignitaires de l’Etat constitué de Hauts fonctionnaires civils et militaires et de représentants des élus, jugés comme « ceux qui lient et délient » Ãåá ÇáÍá æÇáÚÞÏ . Le contenu du texte de cette baï’a fut déclamé solennellement devant les signataires et diffusé en direct au peuple marocain sur les ondes de la radio et de la Télévision par le ministre des Habous et des Affaires Islamiques.
- Deux phases sont donc importantes celle de (1956 à 1962 et celle de 1962 à nos jours).
-
la première phase se caractérise par l’abordon du sultanat en 1957 et par l’élaboration graduelle du projet d’une monarchie constitutionnelle et la désignation de Moulay El Hassan comme Prince héritier.
La phase de 1956 à 1962 est donc une phase fondatrice dans l’ordre d’un réaménagement graduel fondé sur la baï’a
Depuis que le Maroc s’est doté en 1962 d’une constitution écrite sur le modèle européen, la question de savoir où se placerait la baï’a dans cette constitution est exégétiquement pertinente mais souvent éludée.
Si on ne lui trouve aucune trace dans le corpus des dispositions de la constitution, c’est qu’elle préexiste logiquement à ce corpus pourtant censée gérer les pouvoirs au sein de l’Etat et régir la société. En toute pertinence, c’est la Baï’a qui légitime même la posture du Constituant du Roi qui détient le pouvoir d’octroi et la révision de la constitution. La fonctionnalité de la baï’a doit donc se « lire » dans toutes les dispositions de la constitution, surtout chaque fois qu’implicitement ou explicitement s’expriment les dimensions du pouvoir royal, par ses attributions propres et par la garantie qu’il apporte aux droits et libertés et à toute les dimensions qu’exige la conduite de l’ordre normatif dans son ensemble.
En termes kelsenniens (théorie pur du droit), la baï’a serait l’acte sinon la norme par excellence au plus haut sommet de la hiérarchie des normes.
On ne peut éluder cette conception exégétique de la Constitution écrite, voire il serait plus juste de considérer qu’au sens plein, la véritable Constitution comporte au Maroc deux étagements. Le premier serait celui qui implique l’exigeante règle coutumière (au sens fort) de la Baï’a comme créatrice du contrat entre la Communauté et le Commandeur des croyants (Imam Suprême). L’acte d’allégeance serait donc un texte constitutionnel en soi. Le second serait ce que l’on retiendrait par la constitution proprement écrite (actuellement celle de 1996) [1] et dont l’article 19 serait le lien incontournable entre les deux étagements.
Un politologue a bien perçu le sens qu’il importe de donner à la sacralité du Roi constitutionnellement inscrit (inviolabilité) plutôt perçue dans sa dimension « légal – rationnelle » (weber) [2] et qui en réalité conditionne tout l’édifice de la répartition des pouvoirs (exécutif, Législatif et Judiciaire) qu’on ne peut assimiler littéralement au modèle de Montesquieu en raison de la suprématie incontestée de l’imam suprême (commandeur des croyants).
Aussi, comprendrait-on la place de l’article 19 est au cœur de la dimension normative que permet la Baï’a implicitement inscrite dans la reconnaissance au Roi du statut du Commandeur des Croyant :
« Le Roi, Amir Al Mouminine, représentant Suprême de la Nation Symbole de son Unité, garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, veille au respect de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectives. Il garantit l’indépendance de la Nation et l’intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ».
La lecture qu’autorise l’article 19 est un ordonnancement strict des fonctions du Roi/Imam.
a. Commandeur des Croyants en sa qualité d’Imam Suprême puisque l’Islam est religion d’Etat.
b. Il est ensuite « le Représentant Suprême de la Nation » et cette qualité de représenter l’ensemble de la Nation découle de la baï’a que certains constitutionnaliste n’hésitent pas à assimiler à « une élection au sens moderne » [3] . Cette position situe le Roi au dessus des autres pouvoirs constitutionnels classiques. Le renouvellement de la baï’a serait donc la réaffirmation et la continuité d’une « coutume politique et religieux » ÚÑÝ ÓíÇÓí æÏíäí et dont la qualité de l’égalité découle de la constitution approuvée par voie référendaire [4] .
Ainsi, le Roi représente la Nation dans la gestion de ses intérêts généraux à l’intérieur et à l’extérieur et puisque la Constitution prévoit d’autres modes de représentation (Parlement notamment), il est le « représentant suprême de la Nation ». A ce titre, il peut réviser la constitution et émettre une nouvelle constitution conditionnée par une approbation référendaire.
c. Le Roi est en troisième lieu symbole de l’Unité et de l’intégrité du pays dans toute l’intégralité des formes de l’unité (agrégative des groupes sociaux et des contrées qui composent le territoire).
d. Le Roi est le garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat dont les pouvoirs constitutionnels lui permettent de l’assurer aussi bien dans les circonstances normales que dans les phases exceptionnelles.
e. Le Roi est le protecteur de l’Islam et veille au respect de la constitution fonction qui découle de la baï’a en tant qu’acte impliquant l’obligation du maintien de l’ordre constitutionnel (stabilité) contre toute fitna et pour l’ordre religieux (implication sur la gestion du champ religieux et du patrimoine des Fondations Pieuses).
f. Le Roi est protecteur des droits et libertés des citoyens , des collectivités et autres groupes c'est-à-dire qu’il est comptable (au sens d’un contrat synallagmatique de la baï’a) des libertés publiques.
g. Le Roi garantit l’indépendance du pays et son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques.
Expression de la souveraineté dans sa dimension externe (fonction régalienne par excellence), l’allégeance prêtée au Roi ne peut que produire un tel effet primordial. Le Discours Royal du 16 octobre 1975 en a exprimé la formule la plus significative et que ne cesse de reprendre toute célébration dans les discours royaux ultérieurs de la Marche Verte chaque 6 novembre.
Aussi l’article 19 constituerait la matrice de tout l’édifice constitutionnel conditionné par l’antériorité de l’acte de la Baï’a et de sa propension à se renouveler indéfiniment. Cette dimension de la temporalité qui inscrit le passé et se projette dans l’avenir, dont le paradigme de la succession normativement réglée d’avance est un des axes centraux, explique que le fonctionnement des pouvoirs se fait autour d’un pouvoir royal arbitral suprême, hiérarchiquement constituant et impérativement au dessus des autres pouvoirs qui lui sont subordonnés en termes de « fonctions » ;
La fonction législative du Parlement est conditionnée par le pouvoir royal d’orientation normative par les Messages qu’il lui adresse (art 28) ; comme la fonction exécutive, renforcée dans la constitution actuelle (1996), obéit à un judicieux partage mais dont l’arbitrage royal est décisif car il nomme le premier ministre et les ministres, qui sont responsables devant lui et préside la Conseil des ministres.
On a vu, à juste titre dans ce modèle de « parlementarisme rationalisé », l’écho de la Constitution gaullienne de 1958 à partir du moment où dans le processus de production de la loi, la proposition des loi, en bonne règle, est du ressort de l’Exécutif alors que l’initiative parlementaire est exceptionnel pour des raisons d’efficacité.
Quant au pouvoir judiciaire, la séparation des pouvoirs lui garantissant l’indépendance nécessaire est de mise cependant entre des pouvoirs subordonnés (Parlement, gouvernement et judiciaire) dont le Roi, par le pouvoir suprême que lui accorde son statut marqué des effets de la Baï’a garantie cette indépendance (le Roi préside le Conseil Supérieur de la magistrature et les décision de justice sont rendues en son nom).
Dans la répartition des pouvoirs constitutionnels que préside au sommet un pouvoir royal suprême d’arbitrage on est tenté d’emprunter la distinction du juriste français la ferrière qui différencie les actes d’autorité et les actes de gestion émanant d’instances qui l’exercent au nom du Souverain dont est par essence le seul dépositaire par la Communauté.
La distinction ici n’a pas que la portée administrative que lui accorde Laferrière, elle serait ce que le Doyen Georges Vedel appelle «les bases constitutionnelles» [5] lorsqu’il introduit le droit administratif.
Ses actes d’autorités seraient marquées du sceau de la souveraineté et émanent d’instances exerçant une parcelle de pouvoir, selon les dimensions régaliennes de l’Etat (Ministères de la justice, des Habous et Affaires Islamiques, de l’Intérieur et des Affaires Etrangères). Ils justifieraient donc un processus original voire spécifique du rapport au Souverain ainsi que des structures ministérielles distinctes ou ad hoc (divers Conseils Supérieurs) qui méritent l’ « autorité titulaire » du Roi et sont conditionnés par sa qualité d’Amir Al Mouminine dont les fonctions précises sont inscrites et hiérarchisées dans l’articles 19.
Une telle conception des actes d’autorité commande jusqu’aux nominations des niveaux les plus décisifs de son exercice que démontre l’essence de l’article 30 de la constitution (hautes fonctions civiles et militaires).
Les actes de gestion relèveraient quant à eux d’une simple aptitude juridique qui n’engagerait que l’expression d’une exécution subordonnée bien qu’en bonne conception de l’imamat, la théorie des « massalih al Moustarçalah » (utilités pérennes) renverrait, en toute hypothèse, à une sorte de théorie du service public, très intégrale, telle que Léon Duguit la conçevait au début du XX° siècle en tant que substrat « d’un gouvernement (qui serait) un ensemble de services publics» [6] .
C’est à ce titre que l’administration dans le Maroc traditionnel ne se distinguait point de l’exercice du pouvoir (oumama mohtacib…).
L’essentiel est que dans le processus de production normative (loi), le mandat qu’instaure la Baï’a au profit au Roi est intégralement restitué par la dynamique de rôle qu’y joue le Roi depuis l’orientation normative jusqu’à la promulgation, à travers le dosage constitutionnel des pouvoirs législatif et excessif dont il assure l’arbitrage.
On ne peut qu’être rassuré d’une recherche d’équilibre entre tradition et modernité dans le schéma constitutionnel marocain, qui accorde à l’institution de la Baï’a son rôle de pivot, et on l’est davantage qu’en se referant au droit constitutionnel comparé pour témoigner de l’ingéniosité de notre édifice constitutionnel et de la nécessité d’élucider ce qui relève des hasardeuses conceptions où qu’elle puisent leur doxa ou exatologie en tant que préjugés à combattre.
[1] « … aussi la constitution que j’ai construite de mes mains, qui sera diffusée sur tout le territoire du royaume et qui dans un délai de vingt jours sera soumise à ton approbation, cette constitution est avant tout le renouvellement du pacte sacré, qui a toujours uni le peuple au Roi ». Discours Royal du 18 novembre 1962. Le Maroc en Marche ministère de l’Information, 1965 p. 198.
[2] V. Mohamed Tozy « le Roi Commandeur des Croyants » in Edification d’un Etat moderne p. 59, Albin – Miche 1986.
[3] Malika Sarroukh : droit constitutionnel (en arabe), éd 1998 p.194
[4] Idem
[5] George Vedel : V. l’introduction de toutes les éditions de son manuel classique de « Droit administratif », P.U.F, Paris
[6] Léon Duguit in « Transformation du droit »
Quels sont les modèles des actes d’allégeance les plus récents au Maroc ?
Depuis l’Indépendance du Maroc en 1956, la succession au trône a été institué en deux phases : la désignation préalable de l’Héritier du Trône (a) et l’acte d’allégeance proprement dit Baï’a ou Moubaï’a (b).
a. La désignation préalable de l’Héritier du Trône :
-
Le 9 Juillet 1957, à l’occasion du 28ème anniversaire de S.A.R. le Prince Moulay El Hassan, S.M. le Roi Mohammed V le désigna comme « Héritier du Trône », titre octroyé par Dahir n° 219-57-1 après quoi S.M. le Roi et le Prince Héritier prononcèrent ce jour là, à la place du Méchouar (Palais Royal) deux discours historiques qui méritent d’être présents à l’esprit de chaque marocain.
-
La constitution du 13 octobre 1996 dispose en son article 20 :
« La Couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles en ligne directe et par ordre de primogéniture de SA MAJESTE LE ROI HASSAN II, à moins que le Roi ne désigne, de son vivant, un successeur parmi ses fils, autre que son fils aîné. Lorsqu’il n’y a pas de descendants mâles en ligne directe, la succession mâle la plus proche et dans les mêmes conditions ».
La succession est donc constitutionnellement écrite et c’est sur cette base que le Prince Héritier Sidi Mohammed, fils aîné, a succédé à son Père S.M. le Roi Hassan II en juillet 1999.
b. L’acte d’allégeance ou la Baï’a proprement dite :
Depuis l’Indépendance donc, deux actes d’allégeance furent rédigés à l’occasion de l’accomplissement de la procédure d’investiture de Leurs Majestés les Rois Hassan II et Mohammed VI en tant qu’Imams Suprêmes puisque la baï’a est appelée comme tel ÇáÅãÇãÉ ÇáÚÙãì par rapport à l’Imamat mineur ÇáÅãÇãÉ ÇáÕÛÑì c.à.d celui qui permet simplement de présider aux prières quotidiennes ou rituelles dans les mosquées.
L’investiture à l’Imamat Suprême de Sa Majesté le Roi Hassan II :
- S.M. le Roi Mohammed V décède le 26 Février 1961 (10 Ramadan 1380).
- S.A.R., Prince Héritier, pris alors deux mesures immédiates et urgentes :
· garantir la sécurité et le maintien de l’ordre sur l’ensemble du territoire ;
· annoncer la nouvelle au peuple à la Maison de la Radio.
- Un acte de baï’a fut immédiatement rédigé au domicile de S.A.R au Souissi et signé par les dignitaires de l’Etat qui y étaient présents.
Mais cet acte était tout à fait formel puisque la succession était déjà assurée depuis le 9 Juillet 1957.
L’investiture à l’Imamat Suprême de Sa Majesté le Roi Mohammed VI :
- le décès de Sa Majesté le Roi Hassan II le 23 Juillet 1999 engageait donc automatiquement l’application de l’article 20 de la Constitution en vigueur puisque le nouveau Roi était logiquement Son Altesse Royal le Prince héritier Sidi Mohammed.
- Un acte de baï’a fut également rédigé et signé par un très large aréopage de dignitaires de l’Etat constitué Hauts fonctionnaires civils et militaires et de représentants des élus, jugés comme « ceux qui lient et délient ». Le contenu du texte de cette baï’a fut déclamé solennellement devant les signataires et diffusé en direct au peuple marocain par sur les ondes de la radio et de la Télévision par le ministre des Habous et des Affaires Islamiques (V. annexes).
- Deux phases sont donc importantes celle de (1956 à 1962 et celle de 1962 à nos jours
-
la première phase se caractérise par l’abordon du sultanat en 1975 et par l’élaboration graduelle du projet d’une monarchie constitutionnelle et la désignation de Moulay El Hassan du Prince héritier.
La phase de 1956 à 1962 est donc une phase fondatrice dans l’ordre d’un réaménagement graduel fondé sur la baï’a
Depuis que le Maroc s’est doté en 1962 d’une constitution écrite sur le modèle européen, la question de savoir où se placerait la baï’a dans cette constitution est exégétiquement pertinente mais souvent éludée.
Si on ne lui trouve aucune trace dans le corpus des dispositions de la constitution c’est qu’elle préexiste (ontologiquement) à ce corpus pourtant censée gérer les pouvoirs au sein de l’Etat et régir la société. En toute pertinence c’est elle qui légitime même la posture du Constituant du Roi qui détient le pouvoir d’octroi et la révision de la constitution. La fonctionnalité de la baï’a doit donc se « lire » dans toutes les dispositions de la constitution, surtout chaque fois qu’implicitement ou explicitement s’expriment les dimensions du pouvoir royal, par ses attributions propres et par la garantie qu’il apporte aux droits et libertés et à toute les dimensions qu’exige la conduite de l’ordre normatif dans son ensemble.
En termes kelsenniens (théorie pur du droit), la baï’a serait l’acte au plus haut sommet de la hiérarchie des normes.
On ne peut éluder cette conception exégétique de la Constitution écrite voire il serait plus juste de considérer qu’au sens plein la véritable Constitution comporte au Maroc deux étagement. Le premier est celui qui implique l’exigeante règle coutumière (au sens fort) de la Baï’a comme créatrice du contrat entre la Communauté et le Commandeur des croyants (Imam Suprême). L’acte d’allégeance serait un texte constitutionnel en soi. Le second serait ce que l’on retiendrait par la constitution proprement écrite (actuellement celle de 1996) [1] et dont l’article 19 serait le lien incontournable entre les deux étagements.
Un politologue a bien perçu le sens qu’il importe de donner à la sacralité mais plutôt dans sa dimension « légal – rationnelle » (weber) [2] et qui en réalité conditionne tout l’édifice de la répartition des pouvoirs (exécutif, Législatif et Judiciaire) qu’on ne peut assimiler littéralement au modèle de montesquien en raison de la suprématie incontestée de l’imam suprême (commandeur des croyants).
Aussi, l’article 19 est au cœur de la dimension normative que permet la Baï’a implicitement inscrite dans la reconnaissance au Roi du statut du Commandeur des Croyant :
« Le Roi, Amir Al Mouminine, représentant Suprême de la Nation Symbole de son Unité, garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, veille au respect de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectives. Il garantit l’indépendance de la Nation et l’intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ».
La lecture qu’autorise l’article 19 est un ordonnancement strict des fonctions du Roi/Imam.
a. Commandeur des Croyants en sa qualité d’Imam Suprême puisque l’Islam est religion d’Etat.
b. Il est ensuite « le Représentant Suprême de la Nation » et cette qualité de représenter l’ensemble de la Nation découle de la baï’a que certains constitutionnalistes n’hésitent pas à assimiler à « une élection au sens moderne » [3] . Cette position situe le Roi au dessus des autres pouvoirs constitutionnels classiques. Le renouvellement de la baï’a serait donc la réaffirmation et la continuité d’une « coutume politique et religieux » ÚÑÝ ÓíÇÓí æÏíäí et dont la qualité de l’égalité découle de la constitution approuvée par voie référendaire [4] .
Ainsi, le Roi représente la Nation dans la gestion de ses intérêts généraux à l’intérieur et à l’extérieur et puisque la Constitution prévoit d’autres modes de représentation (Parlement notamment), il est le « représentant suprême de la Nation ». A ce titre, il peut réviser la constitution et émettre une nouvelle constitution conditionnée par une approbation référendaire.
c. Le Roi est en troisième lieu symbole de l’Unité et de l’intégrité du pays dans toute l’intégralité des formes de l’unité (agrégative des groupes sociaux et des contrées qui composent le territoire).
d. Le Roi est le garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat dont les pouvoirs constitutionnels lui permettent de l’assurer aussi bien dans les circonstances normales que dans les phases exceptionnelles.
e. Le Roi est le protecteur de l’Islam et veille au respect de la constitution fonction qui découle de la baï’a en tant qu’acte impliquant l’obligation du maintien de l’ordre constitutionnel (stabilité) contre toute fitna et pour l’ordre religieux (implication sur la gestion du champ religieux et du patrimoine des Fondations Pieuses).
f. Le Roi est protecteur des droits et libertés des citoyens , des collectivités et autres groupes c'est-à-dire qu’il est comptable (au sens d’un contrat synallagmatique de la baï’a) des libertés publiques.
g. Le Roi garantit l’indépendance du pays et son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques.
Expression de la souveraineté dans sa dimension externe (fonction régalienne par excellence), l’allégeance prêtée au Roi ne peut que produire un tel effet primordial. Le Discours Royal du 16 octobre 1975 en a exprimé la formule la plus significative et que ne cesse de reprendre toute célébration dans les discours royaux ultérieurs de la Marche Verte chaque 6 novembre.
Aussi l’article 19 constituerait la matrice de tout l’édifice constitutionnel conditionné par l’antériorité de l’acte de la Baï’a et de sa propension à se renouveler indéfiniment. Cette dimension de la temporalité qui inscrit le passé et se projette dans l’avenir, dont le paradigme de la succession normativement réglée d’avance est un des axes centraux, explique que le fonctionnement des pouvoirs se fait autour d’un pouvoir royal arbitral suprême, hiérarchiquement constituant et impérativement au dessus des autres pouvoirs qui lui sont subordonnés en termes de « fonctions » ;
La fonction législative du Parlement est conditionnée par le pouvoir royal d’orientation normative par les Messages qu’il lui adresse (art 28) ; comme la fonction exécutive, renforcée dans la constitution actuelle (1996), obéit à un judicieux partage mais dont l’arbitrage royal est décisif car il nomme le premier ministre et les ministres, qui sont responsables devant lui et préside la Conseil des ministres.
On a vu, à juste titre dans ce modèle de « parlementarisme rationalisé », l’écho de la Constitution gaullienne de 1958 à partir du moment où dans le processus de production de la loi, la proposition des lois, en bonne règle, est du ressort de l’Exécutif alors que l’initiative parlementaire est exceptionnel pour des raisons d’efficacité.
Quant au pouvoir judiciaire, la séparation des pouvoirs lui garantissant l’indépendance nécessaire est de mise cependant entre des pouvoirs subordonnés (Parlement, gouvernement et judiciaire) dont le Roi, par le pouvoir suprême que lui accorde son statut marqué des effets de la Baï’a garantie cette indépendance (le Roi préside le Conseil Supérieur de la magistrature et les décisions de justice sont rendues en son nom).
Dans la répartition des pouvoirs constitutionnels que préside au sommet un pouvoir royal suprême d’arbitrage on est tenté d’emprunter la distinction du juriste français Laferrière qui différencie les actes d’autorité et les actes de gestion émanant d’instances qui l’exercent au nom du Souverain dont est par essence le seul dépositaire par la Communauté.
La distinction ici n’a pas que la portée administrative que lui accorde Laferrière, elle serait ce que le Doyen Georges Vedel appelle «les bases constitutionnelles» [5] lorsqu’il introduit le droit administratif.
Ses actes d’autorités seraient marquées du sceau de la souveraineté et émanent d’instances exerçant une parcelle de pouvoir, selon les dimensions régaliennes de l’Etat (Ministères de la justice, des Habous et Affaires Islamiques, de l’Intérieur et des Affaires Etrangères). Ils justifieraient donc un processus original voire spécifique du rapport au Souverain ainsi que des structures ministérielles distinctes ou ad hoc (divers Conseils Supérieurs) qui méritent l’ « autorité titulaire » du Roi et sont conditionnés par sa qualité d’Amir Al Mouminine dont les fonctions précises sont inscrites et hiérarchisées dans l’articles 19.
Une telle conception des actes d’autorité commande jusqu’aux nominations des niveaux les plus décisifs de son exercice que démontre l’essence de l’article 30 de la constitution (hautes fonctions civiles et militaires).
Les actes de gestion relèveraient quant à eux d’une simple aptitude juridique qui n’engagerait que l’expression d’une exécution subordonnée bien qu’en bonne conception de l’imamat, la théorie des « massalih al Moustarçalah » (utilités pérennes) renverrait, en toute hypothèse, à une sorte de théorie du service public, très intégrale, telle que Léon Duguit la conçevait au début du XX° siècle en tant que substrat « d’un gouvernement (qui serait) un ensemble de services publics » [6] .
C’est à ce titre que l’administration dans le Maroc traditionnel ne se distinguait point de l’exercice du pouvoir (oumama mohtacib…).
L’essentiel est que dans le processus de production normative (loi), le mandat qu’instaure la Baï’a au profit du Roi est intégralement restitué par la dynamique du rôle qu’y joue le Roi depuis l’orientation normative jusqu’à la promulgation, à travers le dosage constitutionnel des pouvoirs législatifs et excessifs dont il assure l’arbitrage.
On ne peut qu’être rassuré d’une recherche d’équilibre entre tradition et modernité dans le schéma constitutionnel marocain, qui accorde à l’institution de la Baï’a son rôle de pivot, et on l’est davantage qu’en se referant au droit constitutionnel comparé pour témoigner de l’ingéniosité de notre édifice constitutionnel et de la nécessité d’élucider ce qui relève des hasardeuses conceptions où qu’elle puisent leur doxa ou exatologie en tant que préjugés à combattre.
[1] « … aussi la constitution que j’ai construite de mes mains, qui sera diffusée sur tout le territoire du royaume et qui dans un délai de vingt jours sera soumise à ton approbation, cette constitution est avant tout le renouvellement du pacte sacré, qui a toujours uni le peuple au Roi ». Discours Royal du 18 novembre 1962. Le Maroc en Marche ministère de l’Information, 1965 p. 198.
[2] V. Mohamed Tozy « le Roi Commandeur des Croyants » in Edification d’un Etat moderne p. 59, Albin – Miche 1986.
[3] Malika Sarroukh : droit constitutionnel (en arabe), éd 1998 p.194
[4] Idem
[5] George Vedel : V. l’introduction de toutes les éditions de son manuel classique de « Droit administratives », P.U.F, Paris
[6] Léon Duguit in « Transformation du droit »