Caractéristiques et Particularités de la Baï'a
Caractéristiques et Particularités de la Baï'a
Nombreuses sont les particularités de l'acte d'allégeance (Baï'a) au Maroc par rapport à celle historiquement pratiquée en Orient musulman. |
1ère caractéristique : la baï’a est un acte écrit ayant valeur de contrat .
- C’est d’abord et avant tout un contrat écrit dans lequel des commis de justice de l’Etat (adouls et Cadis : c.à.d des notaires et des juges) attestent et inscrivent par écrit l’obligation de ceux qui prêtent le serment de l’allégeance consistant à obtempérer et obéir perpétuellement ÇáãÈÇíÚÉ ÈÇáÓãÚ æÇáØÇÚÉ par consentement volontaire au candidat choisi à devenir le Roi de la Umma entière.
- Une autre formule marocaine consiste à ce que ceux qui prêtent ce serment d’allégeance rédigent eux-mêmes l’acte de leur reconnaissance de l’obéissance et l’authentifie de leur seing personnel ou par des « traits de leurs mains » ÈÎØæØ ÃíÏíåã selon la formule consacrée.
Une fois l’attestation de la Baï’a juridiquement rédigée et authentifiée, des prières et invocations à l’adresse du Roi ainsi investi sont déclamées selon des formules consacrées traditionnellement par le Makhzen (Etat central traditionnel) et réservées au Roi uniquement (de stricte étiquette), suite à quoi les tambours roulent et les trompettes claironnent et les canons tonnent en signe de joie et de liesse pour l’avènement du nouveau règne.
2ème caractéristique : l’acte inscrivant la baï’a est entouré d’une haute valeur symbolique .
- L’acte contractuel de la baï’a est ainsi reproduit par des copistes calligraphes et ostentoirement exposé à travers le pays dans les mosquées, les zaouia et dans les grandes demeures des notabilités car son respect s’impose à tous en raison de sa légitimité, de sa pérennité voire son texte s’accompagne toujours d’une symbolique des effluves (la baraka ou tabarruk ÈÑßÉ æÊÈÑß ).
- Cette « publicité » ou « publication » et ce respect du à l’acte de la baï’a ne sont guère différents de la valeur qu’elle revêtent dans l’investiture constitutionnelle au sein de l’Etat moderne car celle-ci s’impose à tous et garantit la stabilité politique et la sauvegarde de l’ordre social.
Cette « publication » peut également s’apparenter au rôle du Bulletin Officiel actuel (les lois et les décrets) voire même aux pratiques courantes actuelles d’exposer les photos officielles des Chefs d’Etat en des lieux publics.
- Le Mausolée de Moulay Idriss II à Fès était le lieu où étaient exposés l’ensemble des actes de la baï’a des Rois jusqu’à ce que le Roi Moulay Abdelhafid, intronisé en 1908, les eût pris pour lecture personnelle et n’y revinrent plus depuis (v. les écrits de l’Historiographe du Royaume Abdelwahab Benmansour à ce sujet).
3ème caractéristique : l’acte de la baï’a a accordé une place privilégiée à l’avis des Uléma (docteurs de la science religieuse).
C’est certainement une pratique marocaine ancrée puisqu’en des temps normaux, la baï’a ne fut jamais imposée par les hommes du pouvoir ou de la part des ÍãáÉ ÇáÓáÇÍ « porteurs d’armes » c’est à dire des Etats-majors de l’Armée, dirons-nous aujourd’hui. Certes ceux–ci participent toujours à une concertation et à une délibération avec l’ensemble de la classe politique et sociale constituée des Uléma, des Chorfa (descendants du Prophète) des notabilités commerciales, des représentants des arts et métiers (corporations), sachant bien que les Uléma jouissent d’une voix prépondérante dans la prise de décision finale en raison de leur savoir en fiqh (droit musulman) et de leur foi pour épargner à la Umma toute dérive vers le désordre (fitna).
- Il faudrait ajouter que traditionnellement les Uléma de la ville de Fès (Capitale historique mais centre de l’Unique Université musulmane pendant longtemps) étaient les seuls aptes à exercer l’authentification finale de l’acte d’allégeance baï’a une fois effectuée (une sorte de Conseil Constitutionnel).
4ème caractéristique : la baï’a a toujours été au Maroc un contrat synallagmatique .
- Bien qu’intervenant en matière de « droit politique », ce sont les règles du « droit civil et des contrats » qui y priment.
C'est-à-dire que la baï’a contient un rapport de réciprocité entre ceux qui prêtent l’allégeance (au nom de tous les croyants) et celui à qui celle-ci se destine (le candidat à l’Imamat Suprême).
- L’acte d’allégeance contient ainsi des droits et des obligations et la baï’a ne peut donc être conçue comme un engagement explicitement absolu de la part de ceux qui prêtent l’allégeance mais constitue un contrat d’échange de consentement de stricte obéissance d’un côté et de réalisation des buts d’intérêts général sur tous les plans (matériel ou religieux) de l’autre.
L’acte d’allégeance est sans doute la base incontournable qui conditionne tout le système constitutionnel marocain pour faire du Roi le Constituant légitime et le Gardien de l’ordre social mais reconnaissant en contrepartie des droits et obligations aux croyants/citoyens pour qu’ils puissent agir de concert avec le Roi pour y parvenir (v. plus loin).
Le prototype d’un tel contrat synallagmatique, avons-nous évoqué, est l’acte de la moubaï’a faite à Abu Bakr (Compagnon du Prophète) qui s’est exprimé ainsi :
« j’ai été investi pour vous commander æõáøíÊ Úáíßã alors que je ne suis point le meilleur parmi vous ; si j’y réussis puissiez-vous m’y aider et si je n’y parviens point puissiez-vous me corriger ; le plus fort d’entre-vous est pour moi faible jusqu’à ce que je puisse obtenir gain de cause auprès de lui, comme le plus faible d’entre-vous est pour moi fort jusqu’à ce que je puisse le rétablir dans son droit. Obéissez-moi tant que j’obéis parmi vous à Dieu et à Son Messager et si je désobéis à Dieu et à Son Messager, je ne puis alors me prévaloir d’aucune obligation d’obéissance auprès de vous ». [1]
Il s’agit donc de voir comment cette continuité historique d’une institution si cardinale retrouve sa place dans un cadre conceptuel d’ ‘emprunt » au constitutionnalisme moderne après l’Indépendance.
[1] -"Åäí æõáøíÊ Úáíßã æáÓÊ ÈÎíÑßã¡ ÝÅä ÃÍÓäÊ ÝÃÚíäæäí æÅä ÃÓÃÊ ÝÞæãæääí¡ ÇáÞæí Ýíßã ÖÚíÝ ÚäÏí ÍÊì ÂÎÐ ãäå ÇáÍÞ¡ æÇáÖÚíÝ Ýíßã Þæí ÚäÏí ÍÊì ÃÎÐ áå ÍÞå¡ ÃØíÚæäí ãÇ ÃØÚÊ Çááå æÑÓæáå Ýíßã¡ ÝÅä ÚÕíÊ Çááå æÑÓæáå ÝáÇ ØÇÚÉ áí Úáíßã"