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CHAPITRE VII Mokhtar soussi

CHAPITRE VII

      Les 'ouloum enseignés dans le Souss.

      1- Al-qirâ't (Les lectures).

      2- Le tafsîr (L'exégèse).

      3- et 4- Le hadith et la Sîra.

      5- Les 'ouloum du hadith (Sciences du hadith).

      6- 7- et 8- La grammaire, la morphologie et la langue.

      9- Al bayâne (La rhétorique).

      10- Al ousoul (Les fondements du fiqh).

      11- 'ilm al kalâm ( Science de la théologie).

      12- Le fiqh (Le droit musulman).

      13- et 14- Al-Farâ'id wa Al-Hissâb (La science relative aux règles de l'héritage et le calcul).

      15- Al Hay'at (L'astronomie).

      16- Al mantiq (La logique).

      17- Al-Tib (La médecine).

      18- 'ilm Al Jadâwil (Les sciences occultes).

      19- Al-'aroud (La métrique / prosodie).

      20- Les Assânîd (Les chaînes de transmission).

      21- Al-adab Al-'arabi (La littérature arabe).


CHAPITRE VII
Les 'ouloum enseignés dans le Souss.

      Jusqu'à présent, nous avons fait allusion aux institutions de l'enseignement traditionnel, aux enseignants, aux enseignés et à leurs relations.

      Dans ce chapitre nous allons aborder le sujet des différents 'ouloum qui constituaient le programme que devaient assimiler les aspirants au 'ilm. Ce qui va nous donner une idée sur le genre de personnes et de personnalités que produisait cet enseignement, dit traditionnel, dans la région du Souss ainsi que dans tout le pays, avant l'instauration des systèmes éducatifs importés.

      Mais préalablement, il faut signaler que la première remise en question de l'enseignement traditionnel au Maroc date du règne du sultan sidi Mohamed ben Abdellah Al-'alaoui mort en 1238 H (1822).

      En 1203 H (1788), il avait promulgué un Dahir dont l'objectif était de restructurer les programmes de l'enseignement et des méthodes basées sur la mémorisation de contenus d'ouvrages très volumineux, de recueils et de moukhtasarât ou abrégés.

      L'historien Ibn Zaidân a fait allusion à cette réforme dans Al-dourar Al- fâkhira, en disant « ce sultan est le premier qui a posé la première pierre de la réforme des cours à l'université d'Al-Qarawiyine et indiqué ce qu'il faut enseigner et ce qu'il faut omettre ».  

      Mais, certains oulémas irreductiblement opposés à tout changement, n'ont pas apprécié la réforme en la qualifiant de da'wa chaytânya, prétention satanique.   

      Généralement, l'enseignement traditionnel au XXème siècle gardait les contenus et les formes hérités du moyen âge. Les sciences religieuses   prédominaient partout, aussi bien dans le milieu rural que dans le milieu urbain. Elles étaient enseignées dans les villes importantes comme Fès, Tétouan, Marrakech, et aussi dans les médersas traditionnelles populaires dans les campagnes, comme dans le Souss où, la langue véhiculaire était le tachelhit, le berbère du Souss.

      Selon Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, les 'ouloum auxquels les soussis s'intéressaient étaient au nombre de 21'ilm ou arts   selon son expression.


1- Al-qirâ't (Les lectures ).

      Il s'agit de l'art de lire le Coran chez les musulmans, les lectures connues sont au nombre de sept, dix ou quatorze. Mais les sept lectures sont les plus authentiques et les plus répandues dans le monde musulman. Les anciens soussis se sont intéressés à cet art depuis qu'ils ont embrassé l'islam.

      « Il est rare de trouver une campagne dans le Souss dont moins d'un quart des habitants n'a pas mémorisé le Coran. [...] Mais, nous avons vécu jusqu'au triste jour où nous avons remarqué la réduction de ce nombre ! Pire encore, nous avons vu un large mouvement contre l'apprentissage du Coran, et, le plus étonnant, cela ne s'est pas produit pendant le protectorat, mais après l'indépendance ! »   

      L'art de la lecture coranique ne s'apprenait que dans les médersas 'atiqas, après la mémorisation parfaite du Coran dans les mosquées et les médersas coraniques, telle que : La médersa Aghbâlou à Massa, la médersa de sidi Waggâg à Aglou, la médersa de Bougarfa à Ait Ba'mrân, la médersa de Lab'ârîr et plusieurs autres.

      Cet art des lectures fut enseigné dans le Souss selon les ouvrages d'Al-Châtibî, Ibn Al-Jazarî, Ibn Barrî, Al-Kharrâz et autres. Certains soussis avaient leurs propres ouvrages en la matière, ce qui témoignait de leur maîtrise de l'art des lectures coraniques. Al-Mokhtâr en a cité quelques-uns   : Houssine Al-Chawchâwî qui avait commenté Mawrid Al-Zamâ'n, S'id Al-Gourramî qui avait commenté L'ouvrage d'Al-Kharrâz, et des dizaines d'autres étaient érudits dans cet art.

      Avant la génération d'Al-Mokhtâr, les soussis s'intéressaient beaucoup aux différentes lectures du Coran, surtout la riwâyat de Warch   (récit de Warch) et tous les oulémas en avaient la maîtrise. Mais après « Tu peux compter des centaines d'oulémas sans en trouver un seul qui se perfectionne dans cet art. Bien sûr, ils ont tous appris par coeur le Coran, mais sans compréhension, et c'est la cause de la décadence de cet art. Alors que le Souss fut dans le temps, la source convoitée, vers laquelle venaient les demandeurs du'ilm, comme ce fut le cas de Ibn Abdessalâm Al-Fâssî vers la fin du XIIème siècle (XVIIIème) qui descendit à Aït Swâb pour l'apprentissage de cet art. Aujourd'hui, cet art fait partie de l'histoire, et ceux qui le maîtrisent se comptent sur les doigts d'une main ».  


2- Le tafsîr (L'exégèse)

      Selon Al-Mokhtâr, cet art était connu dans le Souss depuis fort longtemps. Déjà au VIIème siècle (XIIIème) un grand 'alim venant d'Andalousie, Abou Yahya Al-Goursîfî, était très connu dans le Souss. Le tafsîr était enseigné dans la région en fonction des compétences des fouqaha, Mais les soussis s'intéressaient beaucoup plus au Coran du point de vue de la grammaire que de l'interprétation. Ecoutons ce que Al-Mokhtâr rapporte :

      « J'ai rendu visite au faqih Ahmed Al-'Aïnî dans la mosquée de Al-Ma'der et je l'ai trouvé en train d'enseigner convenablement, mais superficiellement le-tafsîr. La diffusion de cet art est importante, car le soussi qui n'est pas arabe doit persévérer constamment pour assimiler l'interprétation du Coran. Même les soufis l'enseignaient, comme ce fut le cas du cheikh Al-Ilghî [le père de Al-Mokhtâr] [...]. Mais il faut dire la vérité, les soussis se limitaient à l'enseignement de cet art sans écrire d'ouvrages sur le sujet»  


3- et 4 Le hadith et la Sîra. 

      Ces deux matières nobles ont été étudiées par les soussis bédouins avec avidité et acharnement.

      Après la décadence des 'ouloum même à Fès, les soussis se contentaient de lire le sahih de Mouslim, le sahih d'Al-Boukhârî, et le Mouwata de l'imâm Malik. « Les habitants d'Ilgh prennent encore soins de la-Sîra dans la mesure où ils ont traduit Nour Al-Yaqîne en berbère Soussi en deux volumes, ce qui a permis à certaines femmes de connaître la vie prophétique. [...] En bref, l'habitude est de s'intéresser à ces deux matières uniquement pendant le mois de Ramadan.  

      Les soussis avaient aussi la coutume de faire une cérémonie ou moussem, le jour où ils clôturaient le récit du hadith. Ainsi on entendait parler partout dans les médersas de moussem d'Al-Boukhârî, qui signifiait la clôture du récit de son Sahih.

      Cette coutume répandue dans tout le Souss par la médersa de Timgguiljt soussie, est encore vivante de nos jours, mais sous d'autres aspects qu'Al-Mokhtâr qualifia de commerciaux, loin de l'objectif initial  


5- Les 'ouloum du hadith (Sciences du hadith).

      Cet art est lié étroitement au hadith précédemment cité et dépend de lui. Al-Mokhtâr rapporte qu'il a vu lui-même des ouvrages en vers et en prose et des commentaires, ce qui attestait du grand intérêt que les soussis portaient à ce 'ilm « Il y a manzoumat (Noukhbat Al-fikar) de Mohamed ben S'id Al-Qâdî Al-'Abbasî, Nazm Al-Niqâya, de Mohamed ben Lahcen Al-Amanouzî l'homme de lettres, qui en plus de cet art en contient d'autres. Le commentaire d'Al-Tourfa fi Al-Istilâh d'Al-Houdaiguî et d'autres ».   

      Nous notons qu'actuellement il y a de nouveaux ouvrages en la matière qui circulent dans les médersas traditionnelles, depuis la fondation, après l'indépendance, de l'institut islamique à Taroudant par l'association des oulémas du Souss, A.O.S.


6- 7-et 8- La grammaire, la morphologie et la langue.

      Les soussis attachaient une grande importance à la langue arabe plus qu'à toutes les autres sciences à cause de leur 'oujmat   (Peuple non arabe) « Ils n'ont aucune clé [moyen] pour accéder à ces sciences sauf s'ils rentrent par cette porte [la langue arabe] pour pouvoir comprendre. L'un d'eux a dit en ce sens :

      « Il faut étudier la langue arabe car c'est là une bonne chose. Si tu aspires à la dignité de comprendre les fondements de la doctrine Malékite. Il faut commencer par la grammaire avant la littérature. Ceci est clair pour les soussis puisqu'ils sont étrangers à la langue arabe. [...] Et une fois qu'ils arrivent à savourer le délice de ses styles, ils s'y attachent encore plus et persévèrent pour l'assimiler.

      Quand la langue, la grammaire et la morphologie sont apprises, les soussis ne les oublient plus ! Même en s' adonnant à d'autres 'ouloum.

      Avec assiduité, ils arrivent à se débarrasser de leur 'oujmat et à perfectionner leur style dans la langue arabe, allant même jusqu'à un certain degré de fanatisme, comme si elle faisait partie du patrimoine de leurs ancêtres »   

      Nous soulignons que lorsque Al-Mokhtâr parlait des soussis et de leur attitude vis-à-vis de la langue arabe, il ne faisait en réalité que projeter sa propre image, son sentiment intime et l'expérience qu'il avait pu acquérir dans ce domaine durant un demi-siècle.


Les ouvrages de base en grammaire :

      - La Mouqadima Al-Ajroumya 

      C'est le tout premier ouvrage avec lequel les soussis commençaient à étudier la grammaire arabe. Ils apprenaient le corpus composé en vers sans en comprendre un mot ! Une fois l'ouvrage mémorisé, on procédait à l'étude de ses commentaires, comme Al-Azharî ou Al-Mahjoubî.

      - Al-Joumal 

      Deuxième ouvrage composé en vers et commenté par Al-Rasmoukî.

      - Nazm Al-zwâwî  

      Troisième ouvrage traitant les phrases et les règles, commenté par Yahya Al-Wangdây Al-Ba'qîlî Al-Soussi.

      - Al-Fyat Ibn Malik 

      C'est l'ouvrage qui était le plus connu dans les médersas du Souss, et que les tolba apprenaient par coeur. C'est une poésie composée de mille vers. Les commentaires en sont nombreux, tels que : Al-Makoudî, Al-sayoutî, Aïssar Al Massâlik, Al-Achmounî et Ibn 'Oqaïl.

      Les soussis ont participé à l'écriture d'ouvrages concernant ces sciences, tels que : le commentaire de Al-Maqsoura Al-Makoudya Par Al-tazerwâltî, le commentaire de Al-Maqsoura Al-Dardîrya par Al-Hachtoukî, le commentaire de Chamaqmaqya par Ibn fâris Al-Adouzî avant la parution du commentaire de Ibn khâlid Al-Nâsirî, le commentaire d'Al-'Abdounya par Moussâ Al-Wadrîmî, le commentaire de Rissâla Al-Zaidounya. Sachant que de tels ouvrages ne pouvaient être écrits ou rapprochés que par des linguistes et des hommes de lettres. 


9- Al-bayâne (La rhétorique).

      Logiquement, s'il y avait le développement des trois arts mentionnés ci-dessus, il y aurait du y avoir le développement et même la prédominance d'Al-bayâne. Mais, selon Al-Mokhtâr tel ne fut pas le cas.

      « Nous connaissons parmi eux [les oulémas] celui qui est un grammairien et un linguiste réputé et qui a étudié à fond Al-talkhîs    [ouvrage d'Al-bayâne] mais une grande distance, comme celle qui sépare le ciel de la terre, le sépare de l'âme d'Al-bayâne. Pour la génération précédant la nôtre, nous avons entendu dire, par certains, que tout ce qui n'est pas fiqh et grammaire ne fait pas partie de l'âme de ce pays (laïssa min bâroudi hâdha al baladi) [ n'a pas de valeur] ce qui a conduit à une certaine négligence de ce 'ilm ».   

      En somme, Al-bayâne était enseigné par Al-talkhîs, ce qui a incité certains fouqaha à le composer en poème pour en faciliter la mémorisation.

      Nous signalons également qu'il y avait un autre ouvrage non, des moindres, chez les soussis, intitulé : Al-jawhar Al- maknoune 

      Il est à noter aussi que, Al-bayâne n'était pas enseigné dans toutes les médersas 'atîqas du Souss. Seules certaines, grâces à d'éminents fouqaha, avaient le privilège d'en dispenser l'enseignement. Telle que, les médersas de Boun'mân, d'Adouz, de Tankert,   elles se comptaient sur les doigts d'une main.

      Cette remarque est vraie pour toutes les matières enseignées dans ces médersas. Il n'y avait pas un programme unifié, ce qui explique pourquoi les tolba soussis durant leur apprentissage devaient fréquenter plusieurs médersas.

      Certes, les enseignants fouqaha étaient polyvalents dans l'enseignement traditionnel, mais chaque faqih avait une matière qu'il perfectionnait beaucoup plus que les autres, ce qui poussait les tolba « Al-msâfrine » (voyageurs) à se déplacer entre les médersas suivant la renommée d'un faqih pour telle ou telle matière.

      Le taleb qui avait acquis un certain niveau en langue arabe et qui avait l'ambition d'étudier un 'ilm rare dans la région, pouvait quitter le Souss pour l'une des villes du pays, où le 'ilm recherché était enseigné.

      C'est ce qu'avait fait Al-Mokhtâr, comme nous l'avons vu. Une fois qu'il avait senti pousser ses petites ailes dans le domaine du savoir, il décida de quitter son nid en s'installant d'abord aux alentours de la ville de Marrakech avant d'habiter dans la ville elle-même, en s'adaptant progressivement à la vie citadine différente de celle des bédouins soussis.


10- Al-ousoul   (Les fondements du fiqh).

      Selon Al-Mokhtâr, les délices d'al-ousoul n'étaient connus que par les pratiquants de ce 'ilm en tant qu'art de base dans les études islamiques, bien longtemps au IXème siècle (XVIème) avant l'apparition de Souss Al-'âlima (Souss la savante)

      Il a cité un certain nombre d'oulémas soussis qui ont même écrit des ouvrages sur le sujet    sauf que, les soussis ne se basaient que sur deux corpus : Celui de Jam' Al-jawâmi'    et celui d'Al-wraqât  

      « Ce 'ilm a commencé à régresser au début du siècle dernier, et encore plus dans la première moitié de ce siècle. Il n'en reste que quelques traces ».   


11- 'ilm Al-kalâm    (La science de la théologie).

      Ce 'ilm est placé au deuxième rang chez les soussis après les sciences de la langue, car ils le considéraient comme l'outil de base pour préserver le dogme musulman de l'hérésie.

      Al-Mokhtâr rapporte que les soussis  «ne  l'enseignaient qu'aux tolba brillants. Ceci n'est nullement indiqué dans la mouqadima, introduction d'Ibn 'Âchir    qui est réservée aux débutants ».   

      Malgré les efforts déployés par quelques fouqaha, il n'y a aucune production signifiante à mentionner. Ils se contentaient d'utiliser des ouvrages médiocres.

      « A notre connaissance, ils n'étudiaient ni enseignaient certains ouvrages comme Al-mouwâfaqât   bien qu'ils les aient eus dans leurs bibliothèques. Nous notons leur immobilité dans ce domaine, et ils n'ont pas formé - il faut dire la vérité - d'éminents spécialistes à l'instar des oulémas 'Ajam, des peuples non arabes d'orient ».   

      En somme, ce 'ilm n'était transmis que par une minorité de fouqaha dans certaines médersas, et, la plupart ne regrettaient point leur ignorance de ce 'ilm selon l'expression d'Al-Mokhtâr Al-Soussi.


12- Le fiqh  (Le droit musulman).

      C'est un 'ilm qui est encore très vénéré dans le Souss bien qu'il soit concurrencé par les droits modernes. Il était classé en deuxième position après les sciences de la langue, et les soussis le sollicitaient vivement en composant même à son propos quelques vers qu'Al-Mokhtâr ait rapporté    et que nous traduisons ici :

      Si un savant se glorifie d'une science,

      C'est le fiqh qui mérite d'être glorifié.

      Tous les parfums parfument, mais pas tous comme le musc,

      Tous les oiseaux volent, mais pas tous comme l'aigle.

      Al-Mokhtâr nous a renseignés sur les ouvrages du fiqh qui circulaient à son époque dans la région du Souss et dans tout le Maroc, en disant :

      « ...Et ils ne vont pas au-delà [des 'ouloum existants comme] la grammaire inerte, les commentaires du moukhtasar, la Rissâla, Ibn 'Âchir et quelques autres moutoun, corpus enseignés dans d'autres régions comme fiqhyat Al-Fâssî de Fès, Majmou'at Al-amîr de l'Egypte, Al-Rasmoukya et Al-Samlâlya du Souss ».  

      Nous soulignons que les ouvrages mentionnés ci-dessus traitaient uniquement du fiqh malékite.

      Les moutoun enseignés dans le Souss étaient  :

      -Manzoumat, (corpus en vers) al-mourchid al-mou'îne, appelée communément : Ibn 'Âchir. Cette Manzoumat de 32 pages traite dans les premières pages du dogme islamique et dans le reste du fiqh telle que :

      La purification, les ablutions, les prières, l'aumône légale, le jeûne, le pèlerinage, et les initiations au soufisme. De la page 25 à 32 c'est en prose sous forme de commentaires que sont traités les ablutions, la prière, les 99 noms d'Allah et en dernier le hadith de l'ange Jibrîl, Gabriel.

      Ce petit ouvrage est commenté par d'autres ouvrages, tels que les deux commentaires de Myâra, le grand et le petit, et le commentaire de Mohamed ben Ahmed Al-Adouzî.

      C'est avec cet ouvrage d'Ibn 'Âchir que les débutants soussis commençaient à apprendre le fiqh. Ils devaient le lire plusieurs fois et mémoriser parfaitement son contenu avant de passer à l'étude des commentaires.

      -La Rissâlat de Ibn Abî Zayd Al-Qayrwânî   , petit ouvrage traitant du fiqh Malékite en 168 pages de petite taille. Contrairement à la manzoumat de Ibn 'Âchir, la Rissâlat est en prose.

      -Le Moukhtasar du cheikh Khalîl    abrégé du fiqh malékite, est devenu une énigme à cause de l'exagération du cheikh Khalîl et de ses abréviations. Cet ouvrage venait en troisième position et n'était enseigné qu'au niveau le plus avancé dans les médersas 'atîqas du Souss, avec certains commentaires comme Al-Dardîr, Al-Kharachî et Al-Zourqânî 

      -La Touhfat d'Ibn 'Âsim    ouvrage en vers touchant à tous les détails du fiqh malékite. Elle était enseignée au même niveau que l'abrégé de Khalîl. Le commentaire le plus connu de cet ouvrage est : Al-Bahja fî charh Al-touhfat deTassoulî.  

      Nous soulignons que les ouvrages cités n'étaient pas uniques dans le Souss. Il y en avait d'autres auxquels les fouqaha se référaient pour enseigner ou pour émettre des fatwas, surtout du fait que la plupart des oulémas soussis étaient des autodidactes.

      Al-Mokhtâr considérait, du point de vue de l'enseignement du fiqh, le Souss comme une partie indissociable du Maroc. Il dit « Fès est le pôle, puis vient Marrakech, et des deux, puisent les autres parties du pays. Quand le 'ilm prospère aux pôles, sa prospérité s'étend aux autres parties du pays, mais quand il régresse, il y a des parties qui reste prospères, car il arrive qu'on trouve dans ces régions des oulémas plus érudits que ceux de Fès et de Marrakech. Car peut-on trouver dans le fleuve ce qu'on ne trouve pas dans l'océan ? »   

      Ici sans doute, Al-Mokhtâr fait allusion aux travaux éminents des oulémas du Souss qui ont émis des fatwas et trouvé des solutions aux problèmes posés par les mutations de la société indépendamment des centres rayonnants au nord du Maroc.   

      Cette prospérité du fiqh dans le Souss n'allait pas durer toujours. La décadence allait précisément débuter à l'époque de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi:  « Même si quelques uns de ceux qui sont experts dans cet art [fiqh] sont encore vivants, l'enseignement du fiqh dans le Souss agonise comme ce fut le cas pour les autres arts d'autrefois, à cause du mal inoculé dans le corps social marocain par ce protectorat ».  

      Al-Mokhtâr sous-entend l'introduction des lois françaises qui se substituèrent, dans une large mesure, au fiqh.


13- et 14- Al-Farâ'id wa Al-Hissâb (La science relative aux règles de l'héritage et le calcul).

      Ces deux sciences étaient aussi très sollicitées par les soussis, du fait qu'elles touchaient étroitement à leur vie. Les règles de l'héritage font partie du fiqh mais elles n'ont pas subi le même sort que le reste du fiqh malékite fondé sur la jurisprudence des fouqaha, car à notre sens, ces règles ont été établies par le Coran et non pas par les fouqaha. Elles sont encore en application de nos jours et font partie du droit personnel.

      Al-Mokhtâr quant à lui, a mis en avant une autre raison que nous ne partageons pas « Les soussis s'intéressaient beaucoup aux Frâ'd, à tel point que les citadins les appelaient : 'ilm al-soussyine, science des soussis, et c'est cela qui a préservé ce 'ilm de la décadence contrairement au fiqh ».   

      L'ouvrage le plus apprécié par les soussis, et jusqu'à ce jour, est la Manzoumat Al-Rasmoukî   avec trois commentaires du même auteur soussi, le petit, le moyen, et le grand.

      Effectivement les soussis se donnaient à coeur joie à l'étude de ce 'ilm recommandé même par le Prophète qui a dit à son propos « Ta'allamou al frâ'da fa innaha min dînikoum, wa hya awwalou 'ilmin younsâ ».   Apprenez la science relative aux règles de l'héritage, elle fait partie de votre religion, et c'est la première science qui s'oublie.

      Les tolba soussis apprenaient par coeur cet ouvrage d'Al-Rasmoukî et se passaient de tout autre. Même les analphabètes s'y intéressaient et dialoguaient avec les fouqaha en berbère du Souss. Souvent ils disaient « Celui qui ne peut pas résoudre un problème se rapportant aux règles de l'héritage tout en marchandant dans le souk, [mentalement] n'est pas un vrai connaisseur en la matière ».  

      Quant au calcul, il était enseigné dans ces médersas, mais du fait du désintéressement, il ne l'était plus que dans certaines d'entre elles.

      L'ouvrage exceptionnel adopté, était le corpus en vers appelé Al-Samlâlya    Il contient les nombres entiers naturels, les quatre opérations et les fractions. L'ouvrage devait être appris par coeur.


15- Al-Hay'at (L'astronomie).

      D'après Al-Mokhtâr, ce 'ilm avait une particularité dans la région : Il n y avait que peu des oulémas qui s'intéressaient à ce 'ilm.

      Et les soussis n'ont connu que certains instruments d'astronomie comme l'astrolabe. « La génération avant la notre, ignorait totalement cet art sauf pour le contenu d'Al-mouqni'   [ouvrage] et cela malgré l'existence de certains outils [astrolabe] dans quelques tribus ».  

      Al-mouqni' était donc le seul ouvrage enseigné dans certaines médersas. Selon son propre témoignage, Al-Mokhtâr n'a pas étudié ce 'ilm, et ignorait à peu près tout de ses secrets. Sans doute, ceux qui s'y intéressaient, étaient les tolba qui avaient des objectifs secondaires pour s'adonner entre autres activités, à l'exercice de la magie.


16- Al-mantiq (La logique).

      Il s'agit d'un art qui se pratiquait depuis la renaissance des sciences religieuses dans le Souss. Certains soussis avaient leurs propres ouvrages traitant de la logique, et d'autres en avaient composé des commentaires. Mais, dans l'enseignement, il n'y avait qu'un seul ouvrage composé en vers et qui circulait dans certaines médersas. Il s'agit de la manzoumat d'Al-Akhdarî,    appelée Al-soulam.

      La restriction de l'enseignement de la logique dans le Souss et ailleurs, avait comme cause l'interdiction adoptée par certains oulémas du hadith. « Sans doute cette goutte [Al-soulam] volée par Al-Akhdarî à cet océan [la logique] n'est pas illicite, mais elle reste insuffisante »  


17- Al-Tib (La médecine).

      Lorsque Al-Mokhtâr nous renseigne sur l'histoire de la médecine dans le Souss, nous remarquons que la médecine au sens propre du terme, n'existait pas. Selon Al-Mokhtâr, l'enseignement de cet art était rarement dispensé, sauf dans les villes ou aux alentours, car dans le monde rural, il y avait le grand air et tout était sain. Les corps et les esprits n'avaient à se plaindre d'aucun mal.

      « Nous n'avions pas l'habitude d'entendre parler de la diffusion de cet art dans la région, ni de son enseignement... et ce jusqu'auXIIIème siècle (XIXème).

      Après cette époque on a davantage entendu parler de cet enseignement dans la région, et il y avait des gens qui s'adonnaient à la médecine [traditionnelle] de père en fils ».   

      Nous soulignons que le père de notre auteur s'intéressait à l'art de la médecine traditionnelle, et avait composé deux ouvrages, l'un en berbère et l'autre en arabe.

      Nous observons également que, si les soussis ne s'intéressaient pas à l'enseignement de la médecine, ce n'était pas parce qu'ils n'en avaient pas besoin suivant la thèse du milieu sain, défendue par Al-Mokhtâr, mais tout simplement parce que leurs médecins guérisseurs étaient partout représentés par les marabouts dont la baraka pouvait guérir tous les maux (sauf la mort).


18- 'ilm Al-Jadâwil (Les sciences occultes).

      D'après Al-Mokhtâr, il s'agit d'une science se rapportant aux secrets des lettres de l'alphabet arabe que même Ibn Khaldoun et d'autres ont évoquée dans leurs ouvrages. Elle fut approuvée aussi par ceux qui s'y adonnaient à l'époque de l'auteur. Maints ouvrages consacrés à ce sujet sont passés entre les mains d'Al-Mokhtâr « Il est rare de trouver un ouvrage soussi qui ne contient pas les jadâwil avec lesquels les soussis écrivaient des amulettes. Notre cheikh sidi S'îd Al-Tanânî avait une grande aptitude dans cette science, et ses ouvrages étaient riches des jadâwil, mais cet art, à notre connaissance, n'était pas enseigné ».  

      En dépit de ce témoignage, les tolba soussis étaient réputés pour l'exercice des jadâwil dans le Souss et dans tout le reste du pays.

      Al-Mokhtâr n'a rapporté aucun témoignage à ce sujet, car, comme nous l'avons vu, il était écrivain de « la droite » (de la rectitude théologique). Pour en donner une illustration, nous avons retrouvé un passage du témoignage d'un ancien élève d'Al-Mokhtâr nommé Abderrahman et dont la biographie a été écrite par l'Américain Eickelman.  Il s'agit d'un taleb soussi d'une quarantaine d'année et qui avait passé deux décennies dans la médersa d'Al-Mawâssine.

      Abderrahman dit « Pour avoir de l'argent, le taleb soussi s'adonnait aux pratiques magiques, choses qu'exerçaient d'autres personnes en provenance du Souss. Cela voulait dire qu'il écrivait des talismans pour les femmes et il amenait régulièrement des filles et des garçons dans sa chambre. Un groupe de tolba était allé voir le pacha pour le faire renvoyer, mais en vain. Il fut enfin renvoyé de la médersa sous la pression collective des tolba »  


19- Al-'aroud (La métrique / prosodie).

      Ce fut un 'ilm dépendant de la littérature dans le Souss. Il fut inclus dans l'enseignement général pendant la première renaissance de la littérature soussie.

      Certains soussis ont même écrit quelques traités dans le dessein de parvenir à une approche plus étroite, mais en dernière analyse il n'y eut qu'un nombre très réduit de médersas à avoir enseigné cette matière , telle que Al-Jichtimya, Al-Ilghya, Al-Adouzya, et Al-Boun'mânya.  


20- Les Assânîd (Les chaînes de transmission).

      Cet art se repose sur le mode de riwâyat, chaîne de garants. Elle est constituée d'une suite ininterrompue de noms de transmetteurs. Selon Al-Mokhtâr, cette science fut négligée par les Marocains en général, et par les soussis en particulier, à l'exception de quelques oulémas qui s'y référaient à l'occasion de la délivrance des ijâzats à leurs élèves.  


21- Al-adab Al-'arabi (La littérature arabe).

      La littérature arabe était très demandée dans les médersas soussies. Les tolba apprenaient un grand nombre de poèmes composés par de grands poètes. Les ouvrages adoptés étaient : Maqâmât Al-Harîri, Lâmyat Al-'ajam, Lâmyat Al-'arabe, Lâmyat Ibn Al-Wardî, Al-Mou'allaqât, Bânat Sou'âd et autres.

      La plupart des soussis s'intéressaient à la littérature arabe et certains étaient parmi les meilleurs hommes de lettres, soit au niveau national, soit au niveau du monde arabe. Sans citer tous les noms, car trop nombreux, il suffit d'évoquer le cas de notre éducateur et maître, Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, qui a si bien su maîtriser la langue arabe et sa littérature.

      Son oeuvre évoquée au chapitre IV en est le témoin indéniable. Par exemple dans son ouvrage Souss Al-'âlima, il a consacré les deux tiers du texte à une dissertation sur la littérature arabe soussie. Ceci dit, il y eut en revanche, des tolba qui, ayant consacré presque toute leur vie à l'étude dans le Souss, n'ont cependant pu étancher leur soif de savoir en la matière.

      Nous avons donné un aperçu sur les 'ouloum enseignés dans le Souss selon les sources de notre auteur, Al-Mokhtâr Al-Soussi. Nous en déduisons qu'il n'y avait pas de place pour les sciences profanes dans les médersas 'atîqas soussies, mais il reste à savoir comment les 'ouloum étaient enseignés en fonction de l'âge et du niveau des enseignés.

 

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16/10/2007
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