Introduction et Chapitre I L'ENSEIGNEMENT ET L'EDUCATION DANS L'OEUVRE DE MOHAMED AL-MOKHTAR AL-SOUSSI REGION DU SOUSS (XXème SIECLE)
L'ENSEIGNEMENT ET L'EDUCATION DANS L'OEUVRE DE MOHAMED AL-MOKHTAR AL-SOUSSI REGION DU SOUSS (XXème SIECLE)
Introduction
« Si votre projet est à l'échelle d'une année, semez du blé. S'il est à l'échelle d'une décennie, plantez des arbres. Mais si votre projet est l'échelle d'une vie, cultivez, enseignez et éduquez l'être humain »
Maxime chinoise.
IIIème siècle A.J.C
En date de la signature du traité de Fès en 1912 établissant le protectorat français, le Maroc, avec toutes ses institutions et ses structures politiques, sociales, économiques et culturelles, appartenait encore au passé médiéval, à la différence de certains pays arabes qui, telle l'Egypte, avaient bénéficié depuis plus d'un siècle d'un certain degré d'ouverture aux influences du monde moderne.
En dépit des pressions que les puissances européennes exerçaient sur lui pour lui imposer des réformes conformes à leurs intérêts, surtout commerciaux, le Maroc vivait relativement dans l'isolement.
Malgré la politique de réformes militaires et économiques tentée par certains sultans vers la fin du XIXème siècle, Moulay Al-Hassan en particulier, dans le souci de sauvegarder une indépendance, de plus en plus menacée, le Maroc restait fidèle à d'anciennes traditions et ceci dans tous les domaines, y compris celui de l'enseignement traditionnel qui est l'objet du présent travail.
En effet, avant le protectorat, le Maroc n'avait qu'un système éducatif purement traditionnel, qui se basait essentiellement sur l'apprentissage par coeur, pour l'acquisition du 'ilm. La diffusion des livres au sein de la population était restreinte tant à cause du faible taux d'alphabétisation que du retard apporté à l'introduction de l'imprimerie lithographique dans le pays (1864) Avec l'avènement du protectorat, cet enseignement a enregistré un coup d'arrêt sous l'effet conjugué de l'école moderne.
Le 'alim enseignant était l'acteur de l'oeuvre d'enseignement. Plus son acquis mémorisé du savoir était important, plus ses cours pouvaient durer longtemps, au besoin pendant de longues heures, plus évidente était la preuve de son érudition. L'apprenant se voyait contraint pour devenir 'alim, d'entraîner sa mémoire sans rémittence, à enregistrer sans défaillance aucune, tout ce que l'enseignant transmettait.
C'est probablement la raison pour laquelle, l'apprenant novice commençait par l'épellation de l'alphabet, puis attaquait la lecture, ensuite l'écriture et enfin la mémorisation des textes sans commentaire, ceci pendant des années dans l'absence totale de notion de temps.
Au sujet du sexe féminin, l'enseignement traditionnel ne s'intéressait pas aux filles, et cela portant seules celles qui étaient issues des familles d'oulémas ou de familles aristocratiques avaient quelque chance d'acquérir un bagage élémentaire au sein de leur propre famille.
Le problème de leur scolarisation ne s'est posé avec quelque acuité qu'après l'installation du protectorat et uniquement dans le nord du pays, à Fès exactement, mais jamais dans le Souss où la société restait très conservatrice. Une première expérience de scolarisation des filles fut tentée à Fès en 1923, mais devant l'opposition irréductible des oulémas, le projet fut mis en sommeil pour être finalement abandonné.
La tête de cette opposition avait été prise par les oulémas de l'époque, qui firent de l'enseignement des filles leur principal cheval de bataille et l'enjeu de leurs débats en se référant à la Révélation. On vit certains oulémas aller jusqu'à interdire aux filles et aux femmes l'apprentissage de certaines sourates du Coran, fut-ce à leur domicile, chez elles. Mais, si ce refus était en premier lieu nourri par le conservatisme des mentalités, le fait que l'autorité française du protectorat avait pris position en faveur de cette innovation avait aussi un effet pervers : Les milieux musulmans se refusaient à voir un pouvoir étranger leur dicter une réforme sur un terrain proche de la révélation.
Cependant, nous tenons à souligner que cette attitude d'opposition à l'instruction féminine allait se dissiper progressivement, après le succès que rencontrèrent les écoles libres, créées par des militants du mouvement réformiste et nationaliste, tel fut le cas de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi.
Comme les phénomènes sociaux marocains ont fait l'objet de nombreuses études, axées principalement sur le XIXème siècle, nous avons choisi de faire porter notre recherche sur le XXème siècle, durant lequel la société marocaine a connu les plus importantes mutations de son histoire. Nous avons retenu un sujet qui représente, à notre avis, la pierre angulaire de la société marocaine traditionnelle, et qui est : l'éducation et l'enseignement traditionnel dans l'oeuvre de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, personnalité qui symbolisait par excellence le processus du changement et du renouveau de la vie intellectuelle traditionnelle dans la région du Souss.
Pourquoi un tel choix ? Tout simplement pour des raisons générales et particulières.
Générales, parce que certains écrits de l'époque coloniale qui s'intéressaient à l'enseignement traditionnel marocain étaient succincts et évoquaient brièvement l'aspect de cet enseignement dans les zones urbaines, en évoquant souvent le msid ou école coranique, mais non des diverses institutions populaires séculaires, dans le monde rural, comme celles du Souss, qui surpassaient à un moment donné, même Al-Qarawiyine de Fès.
Particulières, car les études qui à ce jour ont pris pour sujet la personnalité de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, ne l'ont traitée à notre connaissance, que sous deux angles particuliers : l'un étant l'homme de lettres et l'autre étant l'historien. Le troisième angle manquant est que Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi était aussi un nationaliste, un pédagogue, un homme d'éducation et d'enseignement, ce qui lui valut l'exil à maintes reprises.
Pour combler cette lacune, nous avons ciblé pour la présente recherche quatre éléments qui nous semblent indispensables :
Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi en tant que praticien dans le domaine de l'enseignement, sa région natale où il a été socialisé, son oeuvre en tant que source de données, et enfin son époque, que fut le XXème siècle avec tous les événements qui l'ont marqué.
La présente recherche se donne donc pour but d'étudier l'enseignement traditionnel soussi dans ses moindres détails, notamment ceux qui étaient restés dans l'ombre, voire ignorés. Elle vise également à mettre en évidence la contribution des tolba et des fouqaha dans la reproduction de l'éducation islamique dans la société soussie, que Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi appelait « Souss al-'âlima » (Souss la savante.)
Tout au long de ce travail, nous avons tenté de répondre à un certain nombre de questions :
- Quels sont les différents aspects de la région du Souss, berceau des médersas 'atîqas ou traditionnelles?
- Que pouvons-nous déduire de la biographie d'Al-Mokhtâr en tant que taleb, nationaliste, faqih enseignant et éducateur ?
- Quelle est la part de l'éducation et de l'enseignement dans l'oeuvre d'Al-Mokhtâr ?
- Quelles sont les différentes institutions traditionnelles dans lesquelles le 'ilm était enseigné?
- Comment répondaient-elles aux besoins de la société traditionnelle?
- Quelles étaient, en plus de l'enseignement et de l'éducation, les activités entreprises par les fouqaha, les tolba enseignants et les apprenants suivant les différents niveaux ?
- Quelles étaient les relations entre tous les acteurs de l'enseignement traditionnel ?
- Quels étaient les différents 'ouloum, les différentes sciences enseignés dans la région du Souss, selon Al-Mokhtâr?
- Comment fonctionnait le système éducatif traditionnel dans ses moindres détails ? Avait-il une pédagogie et des méthodes qui lui étaient propres ?
- Les confréries religieuses avaient-elles une influence sur l'enseignement traditionnel ?
- Que produisait cet enseignement pour la société qui l'avait créé ou encore, quels étaient ses objectifs ?
- Pourquoi a-t-il pu garder sa structure séculaire intacte jusqu'au XXème siècle avec tout le prestige qu'il conférait aux oulémas?
- Comment les changements et les mutations l'ont-ils atteint et à quel degré ?
- Où en est-il actuellement, face aux défis contemporains les plus prononcés, l'époque coloniale étant close ?
Telle est la série de questions qui nous a guidé pour élaborer cette recherche, qui se compose de onze chapitres :
- Dans le premier chapitre, qui constitue la toile de fond du présent travail, nous avons essayé de traiter la physionomie du Souss, berceau de l'enseignement traditionnel, sur les plans, géographique, historique, politique, économique et socioculturel.
- Dans le deuxième chapitre, nous avons essayé de tracer le parcours de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi depuis sa naissance jusqu'au moment où il est devenu maître enseignant à Marrakech.
- Le troisième chapitre a été consacré à Al-Mokhtâr en tant que maître enseignant, éducateur et aux activités qui l'ont conduit vers l'exil.
- Dans le quatrième chapitre, nous avons tenu à exposer son oeuvre qui a été le support de base du présent travail.
- Quant au cinquième chapitre, nous l'avons consacré aux institutions traditionnelles où les soussis apprenaient essentiellement les sciences religieuses et la langue arabe. Nous y avons également traité des rôles joués par ces institutions au sein de la société traditionnelle, les fonctions des tolba et celles des fouqaha.
- Dans le sixième chapitre, nous avons essayé de montrer les aspects des relations entre les acteurs de l'enseignement traditionnel et d'attirer l'attention sur les châtiments corporels qui pouvaient parfois confiner à la torture. Nous avons aussi fait allusion aux ijâzats, certificats sollicités par les disciples auprès de leurs chouyoukh.
- Le septième chapitre à été consacré aux différents 'ouloum, disciplines ou matières étudiées dans le Souss, mais dont il ne reste aujourd'hui que quelques exemples.
- Dans le huitième chapitre nous avons tenté de faire porter notre intérêt sur l'enseignement, et la pédagogie proprement dite, dans les institutions archaïques du Souss.
- Au neuvième chapitre, nous avons donné un aperçu historique de l'enseignement général au Maroc durant le XXème siècle, avant, pendant et après le protectorat français.
- Quant au dixième chapitre, nous y avons traité de la mutation de l'enseignement traditionnel dans le Souss, depuis les débuts de la période coloniale jusqu'à la mort d'Al-Mokhtâr.
- Enfin, dans le onzième chapitre, nous nous sommes efforcé de cerner la situation de l'enseignement traditionnel après la disparition d'Al-Mokhtâr en 1963.
En outre, nous notons que nous avons utilisé deux concepts différents, l'éducation et l'enseignement, et que l'un n'exclut pas l'autre. Ils ont la même signification dans le contexte de la présente recherche, car les tolba et les fouqaha soussis, étaient à la fois, enseignants, éducateurs et même soufis, et ne séparent en aucun cas l'enseignement de l'éducation.
Pour finir, nous avons coiffé notre travail par une conclusion sous forme de problématique, et l'avons doté d'une transcription de l'arabe, d'un glossaire, d'une bibliographie, d'un index et d'une table des matières.
Chapitre I
Physionomie de la région du Souss.
1- Aspect géographique.
2- Aspect historique.
2-1 L'arrivée des tribus arabes.
2-2 Les incursions portugaises.
2-3 Le protectorat français.
3- Aspect politique.
4- Aspect économique.
4-1 L'agriculture traditionnelle.
4-2 L'industrie traditionnelle.
4-3 Le commerce traditionnel.
5- L'aspect socioculturel.
5-1 Croyances et rites.
5-2 Traditions.
5-2-1 La 'achoura.
5-2-2 Laïlat Al-mawlid.
5-2-3 La 'aqiqa.
5-2-4 La circoncision.
5-2-5 Les mariages.
5-3 La vie intellectuelle.
5-4 Les confréries religieuses dans le Souss.
5-4-1 La tariqa Al-Nâsirya.
5-4-2 La tariqa Al-Tijânya.
5-4-3 La tariqa Al-Darqâwiya.
Chapitre I
Physionomie de la région du Souss.
1- Aspect géographique.
Tout d'abord, il convient de rappeler que les anciens historiens se sont perdus en conjectures quant à l'origine du mot « Souss » dont ils n'ont jamais pu déterminer la signification. La compulsion des documents locaux n'indique aucune signification selon le parler local « tachelhit » Mais nous pouvons avancer certaines hypothèses en rapprochant le mot Souss d'autres mots comme « assouss » qui signifie gauler ou « ar-issoussi » qui veut dire enlever les mauvaises herbes des champs.
Dans la langue arabe nous notons que le mot Souss a un sens proche. Al-Souss signifie soit plante ou arbre. Ceci est peut être un indice indiquant que la région du Souss dans les temps reculés, avant même la conquête par les premiers Arabes musulmans, était une région riche et fertile.
Chez les anciens géographes romains, cette région était désignée sous le nom de Gétules,« Jazoula » Située dans le nord de l'Afrique tendant vers l'Atlantique 3 . Selon ibn Khaldoun : « Le Souss al-aqsâ, est tout ce qui se trouvait derrière Mourrakouch, y compris Taroudant, les plaines du Souss, Ifrâne (grottes) dans l'Anti-Atlas et qui est traversé par l'Oued Souss jusqu'à l'océan Atlantique » .
Al-Hassan Al-Wazzan nous a indiqué le même emplacement: « La région du Souss se trouve derrière l'Atlas vers le sud en face du pays de Haha, [...], à l'Ouest, elle commence à l'Atlantique et est limitée au sud par les sables du Sahara, au nord par l'Atlas aux confins de Haha et à l'est, par l'oued Souss duquel la région tire son nom » . Cet auteur a cité parmi les villes du Souss : Taroudant, Massa, Gsîma, Takaoust et d'autres, avec plus de précision que ses prédécesseurs.
Quant à l'auteur de Al-mou'jab, il considère que « Souss est tout ce qui se trouve derrière Mourrakouch » En consultant les écrits de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, qui est historien contemporain et qui a beaucoup écrit sur le Souss, nous constatons que le Souss se résume pour lui au pays de Jazoula : « Nous considérons que le Souss est la région qui s'étend du pied du Dern [montagne] jusqu'aux frontières du Sahara. De l'Oued Noun [...] jusqu'aux limites de Tata et Sktana » Il lui arrive, certaines fois, de se contenter d'appeler Souss : Bilad Jazoula.
Après l'établissement du protectorat, la France ne s'intéressa au Souss que dans la mesure où il pouvait être rentable sur le plan économique. Ceci poussa les autorités du protectorat à délimiter les confins de la région administrative tout en tenant compte de deux impératifs qui étaient les groupes ethniques et les conditions de vie.
Pour certains auteurs contemporains, la région du Souss n'a jamais connu de limites précises à travers l'histoire. « Cette région, sans doute a été jadis plus vaste qu'elle ne l'est aujourd'hui »
En somme, pour cerner la région du Souss, il nous a semblé plus judicieux de dresser une carte sur laquelle nous tentons de la délimiter approximativement. (Voir annexe, Situation géographique du Souss. P:296).
2- Aspect historique.
Les archéologues sont parvenus à retrouver les traces de ports fondés par les Carthaginois sur le littoral atlantique entre l'embouchure de Dar'a et le cap Cantin. Les autochtones eurent tôt fait de détruire ces colonies et d'expulser leurs habitants. Seuls subsistèrent Lixites et Troglodytes qui, selon Robert Montagne, auraient appartenu à deux grandes familles berbères de nomades et de sédentaires qui ne cessèrent de s'opposer par la suite
L'Afrique du Nord fit partie de l'Empire romain sous les Césars. Il y eut même un empereur romain d'origine berbère, Septime Sévère (193-211) Mais il est acquis que l'occupation romaine du Maroc ne s'étendit pas au delà des plaines du nord, ce qui explique que les géographes de l'époque n'aient rien rapporté sur le Souss, hormis les noms de quelques tribus et de cours d'eau.
Quelques brèves indications sur la répartition des populations dans le Souss ne sont apparues qu'après un millénaire, à l'époque d'Ibn Hawqal (IXème siècle), El Bekri (XIème siècle) et El Idrissi (XIIème siècle).
Historiquement, le groupe le plus répandu dans la région, était celui des Masmouda à laquelle il faut ajouter deux groupes minoritaires celui des Senhaja et celui des Zenata.
Le début de l'islamisation au Maghreb remonte aux premières expéditions musulmanes vers 647. L'Afrique du Nord ne fut entièrement parcourue qu'en 681 par 'Oqba ben Nâfi' Al-Fihrî, fondateur d'Al-Qaïrawan et de sa somptueuse mosquée. Il alla jusque dans le Souss, où il assista à la construction de la mosquée de Massa.
Par la suite, d'autres éléments africains, arabes, juifs et andalous vinrent s'agréger à cette société de tribus sédentaires. Les plus anciennes dans la région, étaient : Jazoula, Ida Oultit, Massa. Ces tribus embrassèrent l'islam qui devint le ciment de l'unité spirituelle et le ferment de la cohésion entre ces groupes aux origines diverses.
Il est à noter aussi que trois événements importants ont modelé les changements structuraux des tribus soussies: l'arrivée des tribus arabes, l'incursion des Portugais sur les côtes de la région, et pour finir, le protectorat français en 1912.
2-1 L'arrivée des tribus arabes.
Des tribus arabes arrivèrent à l'époque des Al-Moahades sous les règnes de Abdelmoumen (1132-1163H/ 527-558) et Ya'qoub Al-Mansour (1184-1199H/ 580-595). Elles se répandirent dans le Souss, surtout dans les plaines et allèrent même au-delà de Chenqit vers le sud. Cependant, il nous est permis de constater que l'influence de ces tribus arabes est beaucoup plus importante au sud du Souss à Aït Ba'mrân à Aglmîm, et dans l'Oued Noun, que dans la partie Nord. Il était fréquent que des discordes ou des accrochages aient lieu entre les tribus sédentaires et les nouveaux arrivants. Lorsque Ali ben Yddar se révolta contre Al-Mourtadâ (Al-Moahad), il alla dans le Souss où il alluma le feu de la guerre contre les Jazoula en s'appuyant sur l'aide des Banî Hassân, des Chbanats, et des Oulad Jarrar venus tous du Sahara. Malgré les guerres entre les tribus, il y eut aussi des moments d'entente et de cohabitation pacifique, et ces temps ont favorisé l'échange mutuel de diverses coutumes et traditions.
2-2 Les incursions portugaises.
Au cours des XV ème et le XVIème siècle, les côtes marocaines subirent les incursions des Portugais. Le littoral du Souss ne fut pas épargné, ce qui poussa la plupart des tribus à trouver refuge dans les montagnes et à substituer l'élevage à l'agriculture.
Cet événement provoqua dans le Souss, l'adhésion au jihad grâce aux fouqaha, oulémas et soufis, qui, tous s'appuyaient sur les préceptes de l'islam. C'est ainsi que dans une grande vague d'enthousiasme populaire, Abou Abdellah Mohamed Al-qâim Al-sa'di fut reconnu souverain dans la plaine du Souss à Tidssi .
Sous le règne des Sa'adiens, les soussis, avec l'appui d'autres tribus, parvinrent à refouler les Portugais de la plupart des centres dont ils s'étaient rendus maîtres, en commençant par Agadir en 1541. Les tribus repeuplèrent les plaines et les côtes, et s'approprièrent des terres avec le consentement du Makhzen. Ceci permit la sédentarisation progressive des tribus arabes et berbères. Signalons que les écrits historiques traditionnels, s'intéressèrent généralement à l'aspect politique et militaire des sociétés, tout en marginalisant le social et la culture populaire ceci jusqu'à la pénétration étrangère.
2-3 le protectorat français.
Avant l'installation des Français dans le pays, quelques recherches sur la société marocaine avaient été effectuées par des chercheurs français, le plus souvent dans le dessein d'ouvrir les voies à l'impérialisme colonial.
La prise d'Alger a inauguré une géopolitique Nord africaine de la France qui allait faire du Maroc un vaste champ stratégique et d'acquis économiques.
La nécessité d'une connaissance approfondie de la réalité marocaine commença à se faire sentir, et des activités exploratoires furent soutenues dès 1840 dans le milieu urbain.
Quant au monde rural, nous remarquons qu'il est resté longtemps ignoré et ce jusqu'à la fin du XIXème siècle. En fait la venue d'une mission scientifique au Maroc en 1904 marqua un tournant institutionnel de l'étude sociologique et ethnologique au Maroc.
Après s'être entendue avec l'Allemagne à laquelle elle céda une partie du Congo, en 1329 H / 1911, la France eut enfin les mains libres au Maroc et put y établir le protectorat par le traité de Fès du 30 mars 1912/1333 . Une phase nouvelle de l'histoire marocaine s'ouvrait. Elle allait durer quarante quatre ans, pendant lequel le peuple marocain lutta par tous les moyens possibles pour préserver son indépendance et sa souveraineté. Les tribus du Souss n'ont pas manqué de réagir contre l'occupant avant même son irruption dans le Souss. Les oulémas, les fouqaha et les tolba s'engagèrent dans cette lutte sans répit, en répondant à l'appel lancé à Tiznit par Ahmed Al-hiba fils du marabout Ma' Al-'aïnine. Pour les soussis le nouvel émir (prince) apparaissait un envoyé du ciel pour libérer le pays et guider les pas du peuple. Les gens le croyaient capable de renouveler l'exploit des Almoravides et des Almohades et de restaurer l'Etat unifié et indépendant en s'appuyant sur l'élan invincible de la foi. Tout le monde offrit des hadyas (présents) et fit acte d'allégeance au nouveau souverain dans le but de jouir de sa baraka.
On vit jusqu'aux plus humbles insister pour lui faire des cadeaux qui n'étaient parfois que des sauterelles grillées. Les imhdâren ne firent pas exception. Ils vinrent eux aussi, avec à leur tête leur mouqqadem portant un magnifique drapeau rouge qui fut remis à l'entourage d'Al-hiba. Ce fut ce grand drapeau que choisit le nouveau souverain .
Les lettrés soussis chantèrent sa louange sous forme de poèmes épiques. Le 18 août 1912, il se rendait maître de Marrakech où il se fit proclamer sultan (Moulay Hafiz venait d'abdiquer) Les habitants de la ville l'éblouirent par des présents encore plus somptueux que ceux des soussis.
Le vendredi 25 Ramadan 1330 H / 6 septembre 1912, la bataille de Sidi Bou'athmân qui opposa les troupes françaises aux forces d'Al-hiba commandées par son frère Merrebbih Rebbou, vint ruiner son enthousiasme et mit fin aux espoirs de ses fidèles. Son armée, une horde de miséreux mal armés et encore plus mal encadrés, fut mise en déroute par les colonnes de Mangin, et il n'eut d'autre issue que de prendre la fuite. Il alla se réfugier à Taroudant.
Toutes les tribus qui l'avaient soutenu refluèrent en désordre vers le Souss. Après avoir tenu encore sept mois et 17 jours, Al-hiba fut délogé de Taroudant par les Français qui, peu à peu, appuyés par les contingents du Makhzen, gagnaient du terrain dans la région du Souss. L'occupation totale de Jazoula fut achevée en 1352.H / 1934 et la vie dans le Souss prit dès lors un cours nouveau.
3- Aspect politique.
Pour les Berbères libres la Taqbilt « tribu » est la véritable patrie. Celle-ci est constituée de plusieurs « mouda' » Un mouda' est un ensemble de hameaux et le hameau réunit plusieurs familles dont l'unité est appelée« ikhs » Le nom de la Jma't « la jmaâ » est le plus souvent donné aux membres participant aux réunions du conseil du mouda'. Habituellement, ces réunions se tiennent à la mosquée, le vendredi, pour résoudre les problèmes au mieux des intérêts de la communauté.
La Jma't exerce son activité en veillant à la protection des cultures, en fixant les périodes successives d'exploitation de la forêt d'arganier, des pâturages ou de la récolte des baies ; Elle fixe aussi le moment où l'on peut commencer les labours ou la récolte des noix. C'est ce qu'on appelait dans la région : « agdal »
Enfin, c'est elle qui recrute souvent les petits employés municipaux rétribués par la communauté pour veiller à une répartition équitable de l'eau pour les irrigations. On leur donne couramment l'appellation d' « amzwar » ou encore de « petits inflass » ou bien encore d' « inflass de l'eau ».
Quant à la jma't de Taqbilt, elle comprend tous les délégués des mouda's. A sa tête il y a le chef appelé « amghar » choisi par toute la tribu. Le conseil de la jma't de taqbilt ne siège que pour des questions d'intérêt général : paix, guerre ou pactes d'alliances. Les affaires subalternes sont traitées à l'échelon du mouda'.
Avec le temps, les institutions tribales dans le Souss ne purent subsister dans leur intégralité. Surtout après la fin de la siba et la soumission directe de la région à l'autorité du Makhzen, des caïds furent mis en place par le sultan, ce qui eut pour effet une considérable restriction de l'autonomie locale des tribus dont les institutions traditionnelles subsistèrent mais dépouillées de la plupart de leurs compétences.
L'immixtion des agents du Makhzen dans les affaires des tribus, la désignation de chefs responsables avaient en principe disloqué l'ancien pouvoir populaire. Mais ce pouvoir n'en est pas moins demeuré le seul instinctivement admis par tous et il n'a jamais cessé d'agir d'une façon occulte lors même qu'il avait été supprimé en fait. Chaque fois que la tribu parvenait à secouer le joug et se mettre en « siba », le pouvoir populaire reparaissait et chassait les caïds.
Depuis fort longtemps, la stratégie du Makhzen a été de résoudre la complexité du jeu par la mise en service des forces politiques locales au nom de l'islam. « Et obéissez à Dieu et à Son prophète; et ne vous querellez pas, de crainte de mollir et que votre force ne retombe. Soyez patients »
Le Makhzen procéda aussi à des nominations de représentants, plaça des caïds dans toutes les localités de quelque importance du Souss. La construction de qasbas symbolisait l'autorité sultanienne mais dans la pratique, tribus et maisons de commerce se bornaient à un conformisme externe et respectaient ces apparences d'un pouvoir antique lointain et à éclipses, sans d'ailleurs nier la légitimité du souverain en titre à conduire la communauté musulmane La consolidation des autorités locales put être observée tout au long du XIXème siècle surtout lors de la harka de 1882. Mais dès les lendemains de la mort de Moulay Al-Hassan 1er, éclatèrent ça et là des révoltes contre les caïds tandis que des conflits tribaux se donnaient libre cours. Les relations entre le Makhzen et les tribus se résument en réalité à un rapport de forces entre deux pouvoirs : pouvoir local émanant de la base et pouvoir externe provenant du Makhzen. Il fallait rechercher un équilibre. Le sort des tribus, placées entre le marteau et l'enclume, dépendait de l'équation de ces deux pouvoirs .
Enfin, nous notons que la guerre civile, dans le Souss, a été un fait largement répandu à la fin du XIXème siècle et au début du siècle dernier. Il en fut de même dans d'autres régions du pays. Ce royaume affaibli par les dissensions internes se trouvait réduit à l'état de proie facile pour l'avidité des puissances européenne, ce qui se termina par l'occupation espagnole du nord du pays et le protectorat français sur le reste.
4- Aspect économique.
Dans le Souss, si l'on tient compte de conditions écologiques peu favorables, la vie humaine se développe difficilement. Les pluies sont très rares dans l'anti-Atlas où la terre des plateaux de vaste étendue peut être fertile. En revanche, dans le Dern elles sont abondantes, mais la terre fait défaut. Les populations exercent des activités diverses pour faire face à leurs besoins mais dans le cadre d'une économie traditionnelle et médiévale: L'exploitation directe de la terre par la famille, l'utilisation de moyens archaïques basés sur l'énergie animale et humaine, assure une production d'autosubsistance.
Ce n'est qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale que la mise en valeur du Souss fut entreprise de façon intensive, contribuant ainsi à donner à la région l'aspect que nous lui connaissons aujourd'hui : une contrée où la majorité de la population est soumise à l'empire des aléas climatiques. Pendant que dans la plaine, prospère le secteur agrumicole et maraîcher, se développe dans la ville d'Agadir le secteur industriel agroalimentaire ; les deux, étant d'ailleurs essentiellement orientés vers les marchés extérieurs.
4-1 L'agriculture traditionnelle.
Dans le Souss, le fellah pauvre ne compte que sur son énergie et celle de ses animaux pour labourer sa terre. L'araire en bois est son outil par excellence, mais elle tend de nos jours à être remplacée par la charrue à versoir (Dombasle) grâce à l'aide de certains soussis souvent émigrés dans des villes.
Le fellah peut s'adonner à deux types d'agriculture qui sont bien souvent complémentaires : L'agriculture « bour » ou sèche basée sur les pluies et l'agriculture irriguée.
Quand il s'agit d'agriculture irriguée, les fellahs se partagent l'eau en unité de temps grâce à la tanast. « Une tasse en cuivre». En cas de litiges, ils ont recours à l'arbitrage selon le droit coutumier de la région.
L'alimentation des habitants est basée essentiellement sur les céréales, dont une partie est souvent vendue au souk pour l'achat de sucre et de thé.
Dans les zones d'oliveraie, la production d'huile d'olive constitue aussi pour les fellahs une importante activité, mais par manque de soins, les rendements sont souvent médiocres.
Une autre huile beaucoup plus appréciée chez les Berbères du Souss provient de l'arganier. Sa préparation reste une affaire exclusivement féminine, cette huile est très recherchée par les citadins.
Dans les endroits montagneux, où les conditions de vie sont beaucoup plus primitives l'agriculture fait place au bétail. Chaque famille possède un troupeau de chèvres et de moutons, capital de base dont on ne sacrifie une bête que pour la réception d'un hôte ou à l'occasion de cérémonies religieuses.
4-2 L'industrie traditionnelle.
Partout où vivent les humains, leurs besoins les poussent à créer et à fabriquer ce qui leur est nécessaire. Ainsi, dans le Souss, comme partout ailleurs, nous trouvons la fabrication d'armes selon des méthodes archaïques. Des sabres, des poignards incrustés d'argent de tous styles sont une spécialité de la tribu des Idas Ousmlal, tandis que la production des bijoux restait presque l'apanage exclusif des Juifs. La fabrication du savon ainsi que le tannage des peaux et la corroierie sont une activité importante à Tahwawt où l'on fabrique presque tout ce qui est en cuir : des coussins réputés dans toute la Jazoula, des selles, et même des gants.
Dans la campagne de Dou-gadir, et dans Ikly, les forgerons pratiquent leur métier. Il est de coutume qu'ils ne soient payés qu'à fin de l'année, au moment des récoltes.
Pour leur part, les femmes de Ilgh excellaient dans la fabrication de textiles. Elles tissaient surtout de la laine pour les membres de leur famille, ainsi que pour autrui en échange d'une petite rétribution.
Il y avait des personnes âgées qui ne vivaient que du tissage de laine. Tel était le cas de la faqira vertueuse, Fatima Taboublit.
Les fouqaha et les tolba pratiquaient la couture pour s'assurer un complément de revenu à leur maigre chard.
4-3 Le commerce traditionnel.
Il n'est pas un chercheur qui n'ait entendu parler de la maison d'Iligh dans le Souss, autrefois royaume berbère, et qui a joué dans les temps anciens, un grand rôle commercial. Les caravanes y apportaient du Soudan parfum, ambre, plumes, vêtements, esclaves et chameaux.
La région du Souss était alors sillonnée sans trêve par les caravanes. Souks et moussems s'y tenaient en grand nombre. Les gens y venaient pour faire quelque commerce en vendant leurs productions et en achetant ce qui manquait dans leur tribu, principalement : le sucre, le thé, les allumettes et les bougies.
Malgré la circulation monétaire, le troc se pratiquait entre les gens en fonction des nécessités qui s'imposaient.
Un autre genre de commerce était connu dans le Souss et était pratiqué même par certains Juifs berbérophones. C'était un colportage ambulant à dos d'âne. Le marchand s'appelait en berbère « a'ttâr ». Il était le personnage le plus attendu par les femmes dans les mouda's. Grâce à lui, ces femmes pouvaient se procurer quelques produits de beauté en échange de quelques oeufs, de laine, d'une bouteille d'huile d'arganier ou encore de grains.
Après l'entrée en contact avec l'Occident, des changements ont atteint progressivement les circuits commerciaux dans tout le Souss.
5- Aspect socioculturel.
Les travaux et les jours dans le Souss, à l'époque où vécut notre éducateur et pédagogue Al-Mokhtâr Al-Soussi, étaient rythmés par les quatre saisons. C'est là que les gens, absorbés par leurs tâches quotidiennes, trouvaient leur unique repère pour une mesure du temps.
Les soussis vivaient paisiblement dans leur société, attachés à leurs traditions millénaires jusqu'au moment où ils se trouvèrent en contact avec la culture occidentale importée par les Français sous le protectorat.
D'ailleurs, nous avons constaté qu'Al-Mokhtâr Al-Soussi n'était pas indifférent aux mutations que connut le Maroc en général et sa région natale du Souss en particulier durant toute la période coloniale.
Dans son encyclopédie Al-ma'soul, et précisément dans son introduction, nous rencontrons le concept d'Al-tahawwoul « le changement ». Selon sa vision, qui n'est pas distincte de celle d'Ibn Khaldoun, le changement fait partie de la vie de toutes les sociétés humaines depuis la nuit des temps, mais, il passait inaperçu. Al-Mokhtâr Al-Soussi rapporte : « Auparavant, nous avions des coutumes respectables dans la manière de nous vêtir, de choisir de l'ameublement, de nous asseoir, de célébrer les fêtes et d'accomplir les travaux. Aussi avions-nous une forme sociale ancestrale à notre mesure. [...] Avec la colonisation tous les aspects de notre vie ont changé».
Après ces quelques constatations d'Al-Mokhtâr Al-Soussi, nous nous sentons obligé de faire un tour d'horizon pour approcher les formes de la vie sociale dans le Souss qui ont marqué toutes les dimensions de la personnalité de notre éducateur et enseignant.
5-1 Croyances et rites.
Depuis des siècles, les soussis ont été profondément influencés par l'islam. La majeure partie de la population, analphabète, comptait pour assimiler les préceptes religieux, sur la culture orale dispensée en berbère dans la Timzguida ou mosquée, la Zaouit ou zaouia, les Igourramens (les marabouts) et même dans les souks. Ces illettrés, dit-on , écrivent avec leurs lèvres et lisent avec leurs oreilles.
La situation des femmes, elles aussi totalement tenues à l'écart de l'enseignement, est pire encore. Ce sont les pères ou les maris - Selon le cas - qui les initient aux préceptes de l'islam, et leur indiquent surtout comment respecter les grandes obligations religieuses, tazallite (la prière), ouzoum (le jeûne), azzga (l'aumône) quant au pèlerinage, il n'est envisagé que dans les foyers les plus aisés qui disposaient des moyens de l'accomplir.
Pour les lettrés, signalons qu'il n'y a pas d'obstacles culturels à la bonne assimilation des préceptes islamiques, mais quel que fut l'attachement des soussis à la religion musulmane, ils réservaient encore leur piété personnelle et leurs gratifications à leurs saints locaux. Nous notons que le saint le plus vénéré dans la région est Sidi Ahmed Ou-Moussa de Tazrerwalt, patron des voyageurs dont le mausolée se trouve à environ 40 km à l'est de Tiznit. Chaque année à la fin du mois d'août Julien , s'y tient un « anmouggar » (une foire) considérable, rassemblant plusieurs milliers de personnes venues de l'ensemble du Souss, et même aussi d'autres régions du royaume. Ce moussem n'est pas le seul de l'année. D'autres peuvent avoir lieu suivant les saisons.
Il y a aussi des tayfas (groupes ou partis de gyrovagues) qui, après de longues pérégrinations dans divers sanctuaires religieux, finissent par clôturer la tournée au sanctuaire de Tazerwalt. Telle fut probablement la tradition du saint Sidi Ahmed Ou-Moussa à son époque.
Pour tenir compte de la séparation des deux sexes exigée par la tradition soussi, il y a des moussems réservés exclusivement aux femmes. Citons par exemple celui qui est appelé : Anmouggar n'trkmîne qournîne , car dans le temps, et jusqu'à une époque tout à fait récente, on n'y trouvait que des navets. De nos jours, l'expression a changé de sens, et fait allusion à quelque chose de «dérisoire».
Les jeunes filles saisissent l'occasion pour se faire belles lors de la cérémonie du henné de la veille. La tradition leur enseigne que celles qui se
sont bien conformées aux rites exigés, se marieront au cours de l'année.
Les visites effectuées au sanctuaire de Sidi Ahmed Ou-Moussa comportent aussi en plus du côté religieux, un côté profane. Les visiteurs y viennent pour solliciter la réalisation de différents voeux : se marier, avoir de la chance dans la vie, se guérir d'une maladie, se perfectionner dans un art, éloigner le mauvais sort, avoir des enfants ou mémoriser vite le Coran quand on est encore amhdâr.
Les savants, les oulémas, les soufis, les fouqarâ, les fouqaha, et les tolba ne sont pas exclus. Rares sont ceux qui considèrent ces pratiques comme entachées d'hérésie. A leur tour, Ils profitent aussi des moussems pour prêcher, pour faire des invocations et percevoir des zyaras. A Tazerwalt, il existe une médersa fréquentée pas les tolba en quête des sciences religieuses.
Aux autres moussems, où il n'y en a point, les tolba de différentes médersas ne manquent pas l'occasion de venir en groupe pour la lecture du Coran et la récitation de certains poèmes devant le public.
Dans les régions les plus reculées, où il n'y a ni saint, ni zaouit, ce manque est compensé par des sources sacrées, des arbres, de simples rochers ou des pierres. Selon les croyances locales, conservées avec fidélité tant par la mémoire des femmes que par celle des hommes lettrés, ces petits saints protègent les arbres fruitiers, les troupeaux, les moissons et guérissent de divers maux.
Tout ceci peut expliquer que les Berbères, surtout les montagnards, font preuve d'un attachement et d'une étonnante fidélité aux rites agraires qui remontent sans doute aux cultes animistes ou chtoniens des temps anciens, mais que l'on met aujourd'hui au rang des traditions, des coutumes locales.
Ceci étant, il va sans dire que la magie et les superstitions sont très répandues dans la société soussie.
Les fouqaha soussis sont reconnus à l'échelon national par la puissance et l'efficacité de leurs formules pour le recours à la sorcellerie dans divers buts, comme évoquer les démons et les contraindre à livrer des trésors enfouis dans le sol. D'autres, au contraire, réprouvent de telles pratiques et se contentent d'écrire des « hrouz » à la demande de la population. Leur grande valeur et leur efficacité sont indéniables. Nous remarquons que la publicité faite aux hrouz du faqih ou du taleb se déroule à travers les chants berbères des al-rwaïs
5-2 Traditions.
Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi n'a pas manqué de décrire brièvement dans son Ma'soul quelques traditions de sa région natale, Ilgh qui ne diffèrent guère du reste du Souss.
5-2-1 La 'achoura.
A la nuit du neuvième jour du mois sacré de mouharram, si l'on en croit Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, les habitants d'Ilgh allaient chercher au bord des cours d'eau des débris de bois charriés par le torrent puis au matin, les faisaient brûler dans leurs maisons, ceci afin d'éloigner les influences maléfiques des démons.
Dans la nuit de 'achoura, des jeunes allaient en groupe loin de leurs habitations conjurer le loup de se tenir à l'écart de leurs troupeaux. Ils laissaient derrière eux de petits amas en pierres et revenaient en chantant jusqu'au village, où l'ahwach durait toute la nuit.
Au matin, hommes et femmes allaient au cimetière en distribuant des aumônes pour que Dieu ait pitié de leurs défunts.
La plupart d'entre eux, ce jour là, jeûnaient et observaient un certain nombre d'usages : Visiter une famille, un 'alim, un malade, aider l'orphelin, faire une prière surrérogatoire de deux rak'a. laver ses propres vêtements, s'enduire les paupières de « tazoult » ou kohol, se couper les ongles, et lire le Coran.
Mais Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, en tant qu'éducateur et fqih, ne reste pas indifférent et il ne se fait pas faute de critiquer la survivance de ces traditions. Il nous dit que: « seules les vieilles et la canaille s'intéressent aux traditions de 'Achoura. Les personnes éclairées sont opposées à ces hérésies»
5-2-2 Laïlat Al-mawlid.
A l'occasion de cette cérémonie, les Timzgadiwine, (mosquées), les lamdâïrs (médersas), les Igourramens (marabouts) sont en fête religieuse. Les fouqaha, les tolba, les soufis et les imhdâren y récitent le Coran, des poèmes chargés d'éloges prophétiques et le dhikr.
Quand le soleil se lève le jour de cette fête, les gens dansent et chantent ce qui raconte que le soleil n'a inspiré ses lumières que de celles du Prophète Mohamed (BSDL).
5-2-3 La 'aquiqa.
Après l'accouchement, il est de coutume que toutes les voisines se réunissent durant les premiers jours autour de l'accouchée et de son bébé. Au septième jour, l'on procède à l'immolation d'un mouton ou d'une chèvre en l'honneur du nouveau venu et tout le monde doit en goûter pour que l'enfant soit bien aimé de tous. Le même jour, ses cheveux sont coupés et on lui donne un nom.
Certaines fois, on trouve chez les soussis des noms de filles qui sont composés, tels que : Tlïitmass, qui signifie littéralement en berbère: elle a ses frères « Tla aït mass ». Cette nomination a pour effet magique que les enfants qui viennent après la fille vivent et sont à l'abri de la mortalité en bas-âge. Le nouveau-né est protégé par le « Harz » sollicité auprès du taleb et par une amulette ou « taoummist » confectionnée le plus souvent par l'accoucheuse elle-même ou par la grand-mère.
Le nouveau-né ne doit pas rester seul, il y a toujours une personne -dont l'âge est sans d'importance- qui veille sur lui pour que les génies ne rôdent pas aux alentours, et, cette précaution peut durer jusqu'à ce que sa fontanelle soit complètement soudée.
Dès son jeune âge, l'enfant est éduqué dans une atmosphère exclusivement féminine. En cas de désobéissance, on fait appel à des êtres imaginaires ou réels pour lui faire peur .
5-2-4 La circoncision.
Elle est obligatoire chez les garçons, mais les hommes des sciences religieuses ne sont pas d'accord sur un âge bien précis. Certains optent pour l'âge de la puberté, d'autres préfèrent qu'elle soit pratiquée dans les premiers jours de la naissance, en se basant sur un hadith rapporté par Al-Baïhaqî, selon Jâbir (DAS) que le Prophète (BSDL) a immolé pour Al-Hassan et Al-Houssaine et les a circoncis au septième jour.
Chez les soussis, la plupart des familles procèdent à la circoncision des petits avant le commencement de l'apprentissage du Coran. Quand le moment est venu, la famille, les voisins et les gens du village se rassemblent, et, quand le repas est prêt, les tolba se retirent à l'écart pour réciter le Coran en entier. Après, l'enfant est remis, en présence de tout le monde, entre les mains du « ahjjam », le barbier du village qui circoncit l'enfant au chant de prière à la gloire du Prophète et d'Abraham
Le matériel utilisé est rudimentaire et ne répond pas aux règles d'asepsie et de stérilisation. En cas d'hémorragie, on saupoudre la plaie avec de « l'azarif » l'alun, et on la soigne avec du henné, plante paradisiaque et panacée de tous les maux. Quand l'hémorragie persiste, le recours au jaune d'oeuf est nécessaire.
Quant aux filles, elles ne sont pas soumises à la clitoridectomie, pas plus dans la région du Souss, que le reste du royaume, comme c'est le cas dans certains pays arabes et surtout en Afrique noire.
5-2-5 Le mariage.
Le plus souvent les mariages ont lieu en été après les récoltes, période où le temps est favorable pour les fêtes. « Tamghra » ou la noce est précédée par « asqsi », la demande de la main de la fille. La décision ne revient pas aux deux futurs époux, mais aux parents. Lors d'un souk par exemple l'accord de deux pères peut avoir lieu sans aucune consultation préalable des deux futurs conjoints, car dit-on c'est le devoir et la prérogative des parents.
La tradition veut que la fille accepte sans murmures le compagnon que son père lui a choisi, sans même l'avoir jamais connu. Dans la société traditionnelle, la fille n'a que trois demeures : la maison de son père, celle de son mari ou plutôt de ses beaux-parents, et enfin sa propre tombe.
Avant le jour des noces, les deux familles préparent avec fébrilité tout ce qu'il faut selon leurs conditions sociales.
La célébration a lieu dans les deux familles et l'on doit être à la hauteur de l'événement pour échapper aux critiques du voisinage.
Le jour j, les deux « islân » sont bien préparés, bien habillés et surtout bien conseillés. Le jeune homme par les hommes et la jeune fille par les femmes.
On choisit généralement la nuit pour conduire la «taslit » chez ses beaux-parents. Les femmes expérimentées lui font sa toilette et l'habillent selon la tradition, toute vêtue, un bouquet de basilic attaché autour de la tête, son frère lui chausse « l'adoukou » la babouche avec un chant particulier et très touchant, qui fait pleurer la « taslit » :
- "Agmas n-tslit allas adoukou".
- "Aillinow adak ourtllati".
- "Issoulam babam oula innam".
- "Istmâm ghid oula yantrit".
- "Aillinow adk ourtallti".
La traduction des vers dans le même ordre.
- Frère de la taslit, mets-lui sa babouche.
- Ma fille tu n'as pas à pleurer.
- Ton père et ta mère sont encore vivants.
- Tes soeurs sont ici et là où tu vas.
- Ma fille tu n'as pas à pleurer.
Une fois qu'elle est prête, la taslit quitte la maison de ses parents à dos de mulet au milieu d'un cortège mixte. Arrivée devant sa nouvelle demeure, elle est accueillie par sa nouvelle famille. L'asli étant sur la terrasse, il jette sur le cortège des amandes en signe de bienvenue et d'affection ou des dattes que les enfants ramassent dans des bousculades.
Après que tout le monde eut mangé, les femmes s'isolent généralement sur les terrasses loin des hommes et les danses commencent autour d'un grand feu jusqu'à l'aube. Parfois, on invite aussi un « baqchich » l'humoriste, le fou de cour, chargé de faire rire les gens.
Lorsque tout le monde se sent lâs, l'asli et la taslit se retirent dans leur « ahanou », chambre nuptiale pour leur premier rapport sexuel. L'asli doit se montrer homme avec f
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