Plan de l'Université Al Qarawiyin à Fès
Plan de l'Université Al Qarawiyin à Fès
L'Université de Qarawiyin constitue un centre qui englobe, outre la grande Mosquée avec ses annexes (mosquée des femmes, bibliothèque, maison du Cadi, bassins d'ablutions), les Médersas Seffarin, El-Attarin, Mesbahia, et Cherratin. Il convient d'ajouter les Médersas Sebayin, Sahridj, du quartier des Andalous, et celle d'Abou lnan au quartier de Talaa, qui, bien qu'assez éloignées du noyau central, en sont partie intégrante. |
Il faut la révélation du plan dessiné pour se rendre compte de l'importance de la Mosquée de Qarawiyin dont les bâtiments sont étroitement enserrés par les maisons qui les entourent et les masquent. Elle couvre un rectangle de 85 mètres sur 70.
Quoique construite par étapes, sa composition est d'une grande simplicité. Sa salle de prière s'apparente à celle de la Mosquée de Sidi Okba à Qairouan. C'est le même anza central s'accrochant à la large nef longeant le sahn, disposition que l'on rencontre d'ailleurs couramment dans les mosquées maghrebines et dont la mosquée Hassan II donne le meilleur exemple.
Cette mosquée s'est agrandie dans la mesure où le lui permit un voisinage de maisons resserrées. Sa renommée qui suivit la construction du petit oratoire de Fatima en 859 après J. C. s'accrut sans cesse, et, grâce à la faveur des Sultans, sa superficie atteignait au XIIIe siècle l'étendue que nous lui connaissons.
Le désaxement de l'anza sur la salle de prière, la dissymétrie de la cour, la répartition inattendue des gros murs, témoignent qu'elle ne fut pas édifiée d'un seul jet. En consultant " Rawd el-Qartas" et la Zahrat el-As, et en étudiant les plans, il nous a été permis de fixer approximativement l'étendue et la position de la mosquée primitive de Fatima.
A l'origine, celle-ci n'était qu'un oratoire, élevé en même temps que celui d'el-Andalous, et comptait quatre nefs comprenant douze arcades d'est en ouest; une cour, un mihrab placé dans la nef où se trouve actuellement le grand lustre ( selon"Rawd el-Qqartas" sous le grand lustre, et selon "Zahrat el-As" dans la nef où se trouve le grand lustre; cette dernière indication nous paraît être la seule plausible) et un petit minaret construit à l'endroit de l'anza actuel. Si nous admettons que tous les travaux effectués dans la mosquée n'ont été que des travaux de restauration et d'agrandissement, la mosquée initiale aurait donc couvert un rectangle approximatif de 33 m. mesurés du nord au sud, ce qui correspondrait à 150 empans (l'empan=0,22m) selon "Rawd el-Qartas", et à 49 m. dans l'autre sens. Nous atteignons à l'est et à l'ouest de gros murs qui paraissent bien, en effet, limiter la mosquée initiale qui, par la suite, a fait l'objet d'élargissements successifs.
Sous le Zénète Ahmed ben Ali Bekr, elle fut élargie à l'est de cinq nefs et à l'ouest de quatre; sur l'emplacement de l'atrium au nord, furent construites trois nefs; le minaret fut démoli et reconstruit à l'emplacement actuel.
Les textes relatifs aux travaux entrepris sous les Almoravides par le Cadi Abou Abd Allah ben Daoud et son successeur Abd el-Haqq sont assez imprécis. L'examen du plan permet cependant l'interprétation suivante: la salle fut agrandie du côté sud sur une profondeur de trois nefs et sur la longueur totale des vingt-et- une arcades, afin de mettre le mihrab sur l'emplacement de l'Oued Kerkoula. Puis on reconstruisit sur la même superficie et dans les mêmes proportions, les dix travées de la salle de prières qui menaçaient ruine, depuis l'atrium jusqu'à la qibla (Zahrat el-As, page 122). De plus, à l'est et à l'ouest de l'atrium, il furent construites des nefs supplémentaires, et, au nord, celle où se trouve actuellement la mosquée réservée aux femmes.
Les premiers Mérinides firent paver la cour par un architecte, Ben Ali Chemaa, qui fit des travaux de drainage, au bassin et au jet d'eau du patio. Plus tard, vers 1290, l'anza actuel fut placé, et à la fin du XIIIe siècle, après la réfection de la partie est et nord du mur, Qaraiyin avait atteint sa plus grande expansion.
Nous lisons dans " Rawd el-Qartas": « Il y a dans la mosquée Qarawiyin «deux cent soixante-dix piliers qui forment seize nefs de vingt et une arcades chacune» En comptant sur le plan, on trouve dix nefs et vingt et une arcades et six nefs plus petites. Le surplus correspondrait au vide du sahn. Le nombre de fidèles qu'elle peut accueillir les jours de prière, en ajoutant ce que peuvent recevoir, la cour, les vestibules et les seuils des portes, est évalué par l'auteur de "Rawd el qartas", à 22.700 personnes.
On ressent une sensation de resserement, au premier examen du plan de la mosquée. Les souks ceinturent étroitement l'édifice et la vie citadine vient battre ses murs. Cette absence de transition augmente l'effet grandiose de ses nefs. Il fut un temps où les cathédrales connurent cet heureux contraste, avant que ne soient tracées, autour d'elles, les avenues et les places qui souvent les isolent et faussent l'angle artistique sous lequel elles devraient être vues. Edifices à deux corps, elles n'étaient vues de près qu'à hauteur de portail; les clochers signalaient au loin leur présence. Tout contribuait à renforcer l'impressionnante majesté des nefs. A Qarawiyin, sur les quatorze portes qui s'ouvrent sur elle, dix nous donnent, à l'improviste, le spectacle de longues perspectives de piliers.
Le sahn est le point le plus original de ce plan. La salle de prière ne lui laisse dans l'ensemble qu'un rectangle restreint, de proportion allongée. Cette cour, qui fut pavée jadis par l'architecte Ben Chemaa, reçut un aménagement décoratif qui, tout en lui gardant l'austérité due à sa destination religieuse, lui donna l'attrait d'un patio de médersa. L'art des médersas apparaît dans les deux pavillons. Nous y trouvons aussi le reflet d'une autre cour, la «Cour des Lions» à l'Alhambra de Grenade qui, estimons-nous, aurait bien pu inspirer les architectes de Qarawiyin. Peut-être n'y aurait-il là qu'une simple coïncidence, car les deux pavillons ne sont pas de la même époque.
Nous trouvons, sur l'origine de chacun d'eux, des informations dans "El Montika" d'el-Maksor d'Ibn el-Qadi et dans "Nouzhat el-Hadi" d'el-Oufrani. Le premier écrit: «Ce fut en l'an 996 H. (1558) qu'El Mançour (El Mançour El Dehbi, le Sultan Saadien), envoya à la mosquée El Qarawiyin sa grande vasque en marbre ainsi que le piédestal qui la supporte; ces pièces pèsent ensemble cent quintaux. La vasque dont il s'agit, est celle qui «se trouve au pied même du minaret» El Oufrani, de son côté, écrit: «Parmi les monuments que fit construire Abd-Allah ben Ech Cheikh, on cite la qobba qui surmonte le bassin situé au pied du minaret de la cour de la mosquée d'El Qarawiyin; auparavant il n'y avait d'autre qobba que celle qui recouvre le bassin situé sur le côté est de la Mosquée.»
L'auteur du premier pavillon avait-il projeté l'ensemble de la cour que le constructeur du second a réalisé au début du XVIIe siècle? Mystère... Toutefois, nous croyons pouvoir donner l'influence comme certaine, car seules des différences dans les détails, surtout dans le style des colonnettes, accusent des époques différentes.
Si l'on pense que l'adaptation de la Cour des Lions est probable, le pur chef-d'œuvre de Grenade aurait perdu le meilleur de lui-même. Celte cour est, sans conteste, la partie la plus parfaite du Palais Royal de Grenade, édifié entre le XIIIe et le XIVe siècles. Nous avons tendance à croire que la cour de Qarawiyin, cour de Mosquée, est tout autre chose.
Comparons les plans. A l'Alhambra, nous sommes en présence d'une spacieuse résidence, et même d'un palais. II s'agissait d'ajouter au charme du jardin qui occupe le centre du plan, celui d'un portique, mais d'un portique aux colonnes légères que l'impression d'être toujours, à l'abri, dans un jardin ne puisse disparaître. Quant aux pavillons, soutenus eux-mêmes par des colonnettes très fines, ils devaient garder l'allure légère, comme sans poids, d'un treillage. Tel paraît avoir été le programme fixé. Le plan, par l'opposition de ses gros murs soutenant les hautes salles du pourtour, à la légèrté impondérable des colonnettes, exprime bien la volonté d'ouvrir au maximum ces galeries. De plus, les pavillons sont isolés du mur par toute la largeur d'un portique, et les quatre angles sont soutenus non pas par des piliers massifs, mais par les mêmes colonnettes dont on a simplement augmenté le nombre. L'élégance et la finesse sont ainsi poussées à l'extrême. Owen Jones, dans son ouvrage sur l'Alhambra, a rendu sensible cette particularité, en l'exagérant un peu, sur un frontispice d'un dessin remarquable.
La disposition ingénieuse des vasques qui dispensent l'eau dans le jardin, sous les portiques, dans les salles contiguës, les proportions harmonieuses des pavillons donnent un ensemble remarquable.
Voyons le plan de Qarawiyin. Ce que nous retrouvons de la Cour des Lions, se limite au jeu de vasques et couloirs d'eau aboutissant aux deux extrémités de la cour à deux pavillons très ouverts abritant les deux vasques. La cour elle-même est toute différente; les portiques légers ont disparu, qui accompagnaient un jardin; les pavillons alourdis sont accolés aux murs; la longueur du rectangle circonscrivant la cour s'est allongée. En deux mots, les proportions d'ensemble ont changé.
Si le Palais de Grenade a pu donner aux constructeurs marocains l'idée d'un arrangement de plan, cet emprunt transposé dans un édifice à destination religieuse, a complètement perdu son expression initiale. Il suffit de comparer les Pavillons: accessoires de grande habitation à Grenade, ils deviennent des pavillons d'ablutions à Qarawiyin.
Il est un élément qu'hélas nous ne retrouvons pas complet. C'est la vasque construite au XIIIe siècle sous le Qadi Ben Daoud et dont l'auteur de "Rawd el-Qartas" nous donne une description détaillée. «Par un canal de plomb souterrain, on mena l'eau du grand réservoir jusque dans la cour au bassin et au jet d'eau. Le bassin en beau marbre blanc d'une pureté irréprochable, reçoit par plusieurs robinets une quantité d'eau égale à celle jaillissant en même temps à travers quarante orifices pratiqués sur les bords, vingt à droite, vingt à gauche. L'ajustage du jet d'eau est en cuivre rouge doré remonté d'un tuyau, également en cuivre, de cinq pieds de haut au-dessus du sol ». Ce tuyau est divisé en longueur en deux compartiments dont l'un fait remonter l'eau à l'ajustage au bout duquel elle jaillit en dix brêches d'une pomme métalique pour retomber dans un petit bassin d'où elle redescend par le deuxième compartiment du tuyau, de sorte que le jet conserve son mouvement continuel, et que le grand bassin soit toujours rempli d'eau, constamment renouvelée, sans qu'il s'en répande une seule goutte sur le sol. Cette eau est à la disposition du public; en prend qui en désire pour son usage, et celui qui aurait envie de boire trouve à portée de main des gobelets dorés suspendus à de petites chaines tout autour de la fontaine ».
Au-dessus du bassin, on construisit une fenêtre en marbre blanc ajouré, merveille de l'époque, sous laquelle on grava sur une pierre rouge l'inscription suivante: " Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux: que le Dieu Très haut répande ses bénédictions sur sidna Mohammad, car des rochers coulent des torrents, les pierres se fendent et laissent jaillir de l'eau et il y en a qui s'écroulent par crainte de Dieu; certes, Dieu n'est pas inattentif à nos actions.» Cet ouvrage fut achevé en1202 après J.C.
Tout autour de la mosquée sont disposées des médersas de conception différente . Il semble qu'elles représentent les étapes successives de la réalisation d'un problème, qui, en partant d'un premier essai avec la médersa Seffarin trouvera sa solution à la fois juste et harmonieuse avec la médersa Bouanania qui vient s'ajouter à la médersa Ben Yousef à Marrakech, pour offrir les deux plus beaux plans de médersas du Maroc.
Mais quel est le programme d'une médersa?
Avant tout, la médersa semble une sorte d'auberge ; les étudiants étrangers à la ville trouvent logement et s'y groupent par région, Ce n'est cependant pas une auberge au sens propre. Le taleb, outre les cours qu'il suit à la grande mosquée, doit, en quelque sorte, retrouver dans sa médersa l'atmosphère religieuse qui lui permettra de poursuivre sa formation. Il lui faut donc une salle de prière, un endroit pour faire ses ablutions; en somme deux choses distinctes: la prière avec l'étude et le logement.
A ses débuts, l'enseignement supérieur de Qarawiyin était destiné à des étudiants issus de la ville qui, après les cours, rentraient chez eux. Parallèlement d'ailleurs le même enseignement était dispensé à la mosquée el-Andalous. Par la suite, la mosquée el-Qarawiyin se substitua aux autres, et la renommée des professeurs qui y enseignaient devint telle, que des jeunes gens affluèrent de toutes les régions du monde islamique. Il fallut donc, non seulement agrandir la mosquée, mais songer à procurer un logement aux étudiants venus de régions lointaines. C'est à ce moment que furent édifiées les premières médersas. Rapidement, les Sultans s'y intéressèrent en en précisant le régime. De la simple auberge, on passa au collège, chaque construction nouvelle, marquant ainsi l'étape d'une meilleure mise au point dans ce domaine.
C'est sous la dynastie des Mérinides, que fut construisite la presque totalité de ces collèges. La médersa Seffarin est le plus ancien collège que nous connaissions à Fès. Elle se trouve proche de Qarawiyin, dans le quartier des relieurs, et date du XIIIe siècle. Elle a été construite sous le règne du sultan Abou Yousef Yaqoub el-Mansour, et il est probable que ce fut lui qui donna l'élan au mouvement qui ne fit que croître en faveur de ces établissements. Ses successeurs, en multipliant ces édifices, leur donnèrent tout l'éclat que justifiait le renom de l'Université, et le souci de laisser un témoignage de leur puissance.
Le plan de la Médersa Seffarin, illustre bien l'état primitif de la question. Autour d'une cour sans forme, on dispose des chambres nécessaires à l'hébergement des étudiants . La préoccupation esthétique ne naît qu'au moment où il faut construire la salle de prière. Tous les soins sont apportés à l'édification de cette partie de la médersa. Son plan et sa décoration, simples et sobres, contrastent avec l'indigence archaïque des cellules de la grande cour occupée en partie par un bassin entouré de treilles . Un petit minaret, le plus exactement orienté, qui soit dit-on, laisse supposer qu'il y eut autrefois une mosquée. Grâce à ce caractère original, la médersa Seffarin dégage un charme particulier, celui des vieilles auberges, qu'un pied de vigne suffit à agrémenter.
Sous le règne du Sultan Abou Saïd Otman, fils de Abou Yousef, les médersas prirent leur caractère définitif. A partir de ce moment, les différences ne portent plus que sur la proportion des éléments édifices. Les médersas Mesbahia, el-Attarin et Sahridj, furent édifiées à qelques années d'intervalles.