Gnaoua
Dès que l’on évoque Gnaoua, vient toujours à l’esprit l’image d’une troupe de black dont les membres sont vêtus de kachaba de couleurs différentes. Chacune de ces couleurs (le rouge, le bleu, le noir, le vert, le jaune, le blanc et le violet) revêt une symbolique spirituelle, sacrée dans le rite gnaoui. Ces membres portent aussi des bonnets multicolores brodés de tresses noires faites de coton et chaussent des ballerines légères qui connotent l’appartenance au continent africain. Leur œuvre est un spectacle fait de chant, de danse et d’une musique typiquement africaine dont les origines remontent à bien longtemps. Une musique où la synchronisation des "qarqba, tamtam, tbl, hajhouj et voix" donne naissance à un rythme proche du jazz, éblouissant pour le moins que l’on puisse dire ; un rythme que tout l’univers peut écouter et sentir sans se lasser, même si on ne comprend pas le contenu des paroles.
Il est vrai que l’on n'est pas toujours obligé de comprendre le discours accompagnant les instruments à l’œuvre pour être fasciné par une musique. Bon nombre de mélomanes préfèrent d’ailleurs être emportés par la musicalité des instruments et font abstraction du contenu discursif, lequel suscite pourtant, à notre avis, un intérêt particulier dans la mesure où il révèle à son tour un certain mysticisme qui accentue la spiritualité du rythme.
En effet, le gnaouisme est une musique de la transe et le langage participe également à cette transmutation non seulement par la musicalité du verbe, mais aussi par l’acception que revêt l’expression.
Festival Gnaoua , Festival Gnaoua Essaouira Le langage en fait, puise son mysticisme dans le corpus culturel religieux monothéiste : souvent les refrains du chant gnaoui sont une reconnaissance de l’unicité de Dieu "la ilahailallah ", une sollicitation de sa clémence "allah yrham". De même, d’autres refrains, outre la glorification du tout puissant, sont un hommage au prophète "Mohamed rassoul Allah" ou " Mohamed na bina". Certaines chansons sont un hymne à Bilal "Sidna Bilal", le premier homme noir qui s’est converti à l’islam et était chargé par le prophète Mohammed d’appeler les musulmans à la prière : une mission digne de respect qui valorise l’homme noir et lui redonne ses titres de noblesse |
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Certes, inscrit dans cette dimension, le gnaoui révèle une certaine appartenance et fidélité à l’islam. En fait, les gnaoui invoquent également dans leur chant les esprits "djinns" tels que "Sidi Mimoun, Baba Hammou Lala Malika Lala Aïcha …" Selon leurs versions, l’interpellation des « djinns » leur permet d’accomplir des faits miraculeux dans les « lilas». Guérir les malades à titre d’exemple, compte parmi les rites des lilas « gnaoui ». Ils disent avoir hérité cela de leur ancêtre Bilal. On raconte qu’un jour, une des filles du prophète était déprimée. Pour la distraire et apaiser sa souffrance, Bilal lui avait joué un morceau musical de la « qarqba » tout en dansant. Le spectacle l’a tellement émerveillée qu’elle a guéri. Cette anecdote va devenir l’argument d’autorité sur lequel s’appuieront plus tard les troupes de « Gnaoua » pour prétendre détenir les secrets « d’Asclépios ». Certainement, aujourd’hui, les psychologues en feront une lecture différente et penseront plutôt à l’impact de la musique et de la chorégraphie sur l’esprit, tout en éloignant par le fait même toute interprétation mystérieuse de la thérapie. Dans les Lilas cependant, le spectacle est plus mystique que jamais. Les spectateurs deviennent acteurs. Ils exécutent des danses comme on n’en a jamais vu. Ils sont emportés par la musique et ne peuvent plus se contrôler. C’est la «Transe ». Les gnaoui disent qu’en ces moments, on assiste à une communion de l’être et du djinn. Tous les deux fusionnent. Et dès que l’on arrête de chanter, certains danseurs tombent évanouis et ne reprennent connaissance que quelques minutes après. D’autres danseurs ne peuvent se relever que lorsque la musique reprend. Ils se remettent à danser et gesticuler d’une façon mystérieuse. Et celui qui voit ce spectacle pour la première fois, quelle que soit sa croyance, ne peut cacher son étonnement et se demander si ces personnes sont réellement possédées. Mais outre cette dimension religieuse ou cette profanation symbolisée par l’alliance (homme / djinns), le discours gnaoui |
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peut être conçu comme un chant élégiaque dont la dimension historique compte plus que toute autre interprétation.Tout le monde sait comment est né le gnaouisme dans les pays du Maghreb. Pratiquement, les conquêtes menées par les sultans du Maghreb d'autrefois, notamment les Saadiens contribuaient à l'esclavage des habitants des pays de l'A frique noire. Les conquérants amenaient des esclaves du « Soudan » au Maroc. Ces derniers étaient chargés des besognes les plus sales et étaient mal traités par leurs maîtres d'autrefois. Ils étaient punis quand leur travail ne plaisait pas au chef. Ils souffraient incessamment de la mauvaise conduite de ce dernier qui les torturait sans pitié. Ainsi, la nuit, quand ils étaient ensemble, ils se mettaient à chanter leur peine "Al Ar à Baba Hammou, kwitini bla ma nbra". Tout le monde croit que Baba Hammou est un fantôme et que les gnaoui l'interpellent dans leur chant dans les LILAS. Je pense en effet que leurs ancêtres dénonçaient la cruauté de Baba Hammou. Il était leur maître et était impitoyable comme l 'explique « je n'ai pas encore guéri de mes blessures et vous me brûlez. Je vous en conjure, cessez de me faire souffrir ». Cette citation traduit bien la subordination des premiers Gnaoui du Maroc. Ainsi, dire que Baba Hammou est un fantôme doit être substitué à mon avis par "il était le diable", une désignation purement symbolique dont la charge lexicale révèle l'aspect bestial du maître et dénonce son sadisme. |