Chapitre IX Mokhtar soussi
Chapitre IX
La situation de l'enseignement marocain
au XXème siècle.
1- Aperçu général.
2- La situation de l'enseignement avant le protectorat.
3- L'enseignement au temps du protectorat.
3-1 L'implantation de l'enseignement colonial dans le Royaume.
3-2 La naissance d'un nouveau type d'enseignement.
3-2-1 L'évolution des écoles libres musulmanes.
3-2-2 Les objectifs de l'enseignement libre.
4- La situation à l'aube de l'indépendance.
Chapitre IX
La situation de l'enseignement marocain
au XXème siècle
1- Aperçu général.
Tous les intellectuels marocains savent au moins que l'enseignement actuel au Maroc n'est que l'extension et la continuité de deux catégories d'enseignement :
Premièrement, l'enseignement purement traditionnel marocain qui existait avant le protectorat et qui a pu garder son intégrité totale dans sa morphologie comme dans son en contenu.
Deuxièmement, l'enseignement colonial institué par les autorités du protectorat au profit des enfants marocains, français et israélites, qui, à son tour, a gardé sa forme d'origine.
Les deux catégories d'enseignement indiquées ci-dessus, ont subi des changements et des réformes superficielles, chacune dans le cadre de la structure générale où elle a été conçue.
Contrairement à certains pays arabes, le Maroc au début du XXème siècle ne connaissait qu'un enseignement arabo-islamique en décadence flagrante par rapport à sa prospérité la plus éclatante à l'époque médiévale.
L'université d'Al-Qarawiyine à Fès, l'institution la plus importante du pays, est restée enfouie sous le poids de l'inertie jusqu'aux années vingt du XXème siècle, c'est à dire au moment où, la France planifiait sa politique d'enseignement au Maroc.
Le protectorat a préféré introduire des réformes dans l'enseignement dispensé à Al-Qarawiyine, plutôt que de laisser les étudiants marocains partir en Orient pour être en contact avec les mouvements de libération et de réforme.
Ainsi, la France n'a pas permis aux événements de la surprendre. Elle a tenté de maîtriser et d'orienter plus que possible sa politique envers l'enseignement traditionnel dans les villes, et surtout dans les grandes institutions de l'époque, à Fès et à Marrakech.
Il faut souligner que le Maroc n'a pas connu, avant le protectorat, d'enseignement moderne en parallèle avec l'enseignement traditionnel à l'instar des pays d'Orient, surtout en Egypte, en Syrie et au Liban, car la renaissance arabe en Orient remonte à la moitié du XIXème siècle et ses échos ne se firent sentir au Maroc, que vers la fin de la deuxième décennie du XXème siècle.
2- La situation de l'enseignement avant le protectorat.
Nous soulignons qu'avant l'arrivée des Français dans le Royaume chérifien, l'enseignement dont disposait la société marocaine, tant en milieu urbain qu'en milieu rural, n'était qu'un enseignement religieux traditionnel qui répondait aux caractéristiques traditionnelles de la dite société.
Les institutions qui dispensaient le premier et le deuxième degré de cet enseignement, selon les styles et les méthodes, que nous avons évoqués dans les chapitres précédents, étaient présentes presque partout, même dans les montagnes les plus reculées, comme dans le Souss.
Mais pour le degré supérieur, il n'y avait que Fès et Marrakech, les deux villes qui ont attiré Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, comme nous l'avons vu pour ses études supérieures.
Fès était la capitale du 'ilm, comme on l'appelait alors. L'enseignement était dispensé à la grande mosquée, Al-Qarawiyine. Les étudiants s'y consacraient essentiellement aux études juridiques, religieuses et linguistiques. L'enseignement de toutes les matières, ne se basait que sur la mémoire, et consistait avant tout, à mémoriser par coeur une batterie de règles, de vers, de commentaires, de gloses et de détails compliqués du métalangage arabe.
Son principal objectif était centré sur la préparation des étudiants à retenir les ouvrages du fiqh malékite fondé sur les sources de la législation islamique.
Cet enseignement supérieur traditionnel ne préparait les étudiants qu'aux carrières traditionnelles, car à l'aube du XXème siècle, la société marocaine s'attachait encore vivement aux traditions et était embarrassée par tout ce qui était nouveau.
« Le climat religieux de la mosquée a gagné tous les milieux scolaires et s'est opposé à toute évolution. La critique, le bon sens, l'esprit philosophique y étaient absents »
Avant le protectorat, Al-Qarawiyine, la grande mosquée renommée dans tout le nord de l'Afrique, était ouverte aux volontaires pour y donner des cours de religion et de langue arabe aux apprenants.
« Il n'y avait aucune organisation, et les rétributions des enseignants étaient si maigres, qu'ils devaient exercer tous des métiers en parallèle, ce qui contribua à la dégradation de l'enseignement et à la disparition totale de certaines matières. [...] Avant 1330 H (1912) Le ministère de l'instruction n'existait pas au Maroc » Ce témoignage est celui d'Al-Hajwî, la première personnalité marocaine qui a été recrutée comme déléguée au ministère de l'instruction, et qui s'est intéressée par la suite aux problèmes d'Al-Qarawiyine où il avait été formé.
La situation déplorable de cette institution, incitait déjà certains étudiants issus de familles riches, à s'orienter vers l'Orient, principalement à Al-Azhar au Caire, chose qui n'était pas pour plaire aux autorités coloniales.
3- L'enseignement au temps du protectorat.
Après la signature du traité du protectorat le 30 mars 1912, le Maroc ne comptait qu'une population d'environ trois millions d'habitants, dont la plus grande majorité vivait en milieu rural.
Comme nous l'avons déjà signalé, l'enseignement dispensé par les institutions traditionnelles était exclusivement à base théologique et religieuse.
Comme le souligne une note de la documentation française, d'après Ignace Dalle, l'enseignement n'avait d'autre but que de « préparer à la vie traditionnelle musulmane sans qu'aucune porte ne fût ouverte sur la culture occidentale en général et sur la science moderne en particulier ».
Partout dans le royaume, l'enseignement dispensé par des tolba et fouqaha aux petits débutants était centré sur l'apprentissage du Coran et utilisait une pédagogie rudimentaire basée sur l'apprentissage par coeur des versets coraniques. Son but était moins l'instruction que l'éducation religieuse et morale, autrement dit, la socialisation des enfants.
Dans le niveau supérieur, les études étaient complètement tombées en désuétude.
« Les sciences profanes : mathématique, histoire, géographie astronomie, cosmographie, astrologie, médecine etc... qui, au moyen âge ont fait l'objet d'un enseignement brillant dans les universités islamiques, ont complètement disparu » Et même en fin d'études, aucun examen n'avait lieu pour les clore. On se contentait de demander aux chouyoukh des Ijâzats, certificats qui attesteraient son aptitude pour être bien accepté dans sa tribu.
La situation donc suscitait la réforme du symbole de l'enseignement traditionnel au Maroc, la mosquée d'Al-Qarawiyine. La tâche n'allait pas être facile étant donné la résistance obstinée des oulémas aux changements et à toute innovation.
Le protectorat était conscient du danger que représentait cette institution en dépit de ses programmes archaïques et qui allait contrecarrer ses objectifs et sa politique dans le pays, ainsi, il entreprit de la réorganiser à sa manière.
Mais, il fallut attendre 1332 H (1914) pour qu'une ordonnance chérifienne ordonnât d'entamer sa réforme en introduisant un système adéquat et des réformes touchant aux méthodes de l'enseignement, aux rétributions des enseignants et à la revivification des matières disparues.
Progressivement, deux cours nouveaux ont été introduits, celui de législation et un autre de rédaction. « Enfin puisque Al-Qarawiyine a renoncé à l'enseignement des sciences profanes, n'est-t-il pas naturel qu'à côté d'elle, aux heures où ses cours cessent, nous en ouvrions d'autres. Ainsi se formerait peu à peu, à côté de l'antique université, une faculté plus moderne qui bénéficierait de l'immense attrait que Fès et la mosquée d'Al-Qarawiyine exercent dans l'islam africain.
Depuis 1923, à la demande d'un certain nombre d'auditeurs d'Al-Qarawiyine, nous enseignons ainsi dans un plan nettement musulman, les mathématiques, l'histoire et la géographie, la littérature arabe, la cosmographie et l'astronomie »
Mais malgré l'instauration progressive de cet enseignement auxiliaire, les étudiants, tout au moins au début, n'étaient pas nombreux à s'y inscrire. Une cinquantaine seulement sur sept cent, y étaient inscrits.
Bien que l'institution Al-Qarawiyine représentât le pivot de l'enseignement traditionnel dans tout le pays, aucun changement ni réforme n'ont été apportés à celui-ci avant le Dahir de 1930, et dont l'initiative a été rejetée par les oulémas traditionalistes . D'autant plus que la plupart des médersas importantes se trouvaient dans les campagnes les plus éloignées de Fès, et, sans doute parce que ces institutions ne représentaient aucun danger pour l'autorité coloniale.
Le développement intellectuel et la conscience politique y étaient faibles, pour ne pas dire inexistants. Ce qui n'a pas amené le protectorat à toucher à ces institutions dont le rôle presque unique, était d'apprendre le Coran par coeur sans aucun commentaire qui aurait pu éventuellement éveiller les consciences.
3-1- L'implantation de l'enseignement colonial dans le Royaume.
Il faut souligner que déjà en 1912, la langue française était enseignée dans quelques écoles fondées à partir de 1862 par l'alliance Israélite universelle.
La population juive du Maroc, qui était une minorité essentiellement adonnée au commerce était confinée dans ses quartiers propres à l'intérieur des cités (mellahs). Elle éprouvait le besoin de s'appuyer sur la culture française susceptible de favoriser le développement de ses transactions commerciales en Europe.
Après l'installation du protectorat français au Maroc, les besoins en personnel enseignant furent urgents. Il fallait des cadres pour les établissements accueillant les enfants des Français ainsi que des interprètes pour les services du protectorat.
Dès la fin de l'année 1912, l'autorité coloniale créa l'E.S.L.A.D.B qui allait devenir à partir de 1921 I.H.E.M Face aux besoins de scolarisation des enfants de l'immigration française, elle créa un service d'enseignement qui se transforma par la suite en D.I.P
L'attention des autorités coloniales se porta en premier lieu sur l'enseignement des Marocains israélites et des Européens pour lesquels elles mirent en place deux types d'enseignement :
-Un enseignement purement Européen à l'image de l'enseignement de la métropole pour les Français. (programmes français)
-Un enseignement franco-israélite inspiré aussi de l'enseignement métropolitain avec l'ajout de quelques heures de culture et de langue hébraïque.
Pour les Marocains musulmans, les autorités coloniales, ayant retenu la leçon de leurs prédécesseurs en Algérie qui n'avaient pas pris en compte les réalités locales, instaurèrent un enseignement à petite dose avec le souci de « ne pas rompre l'assise d'une société dont les tréfonds restent encore mal connus du colonisateur, bref de ne pas bouleverser la hiérarchie de la société marocaine par une évolution scolaire trop brusquée ».
Les autorités coloniales ont été persuadées qu'il fallait instaurer pour les Marocains musulmans deux types d'enseignement différenciés suivant les couches sociales, en plus de l'enseignement traditionnel déjà existant.
A l'époque, pour les Marocains, une instruction même en langue arabe, sans contenu religieux et sans intervention du taleb ou du faqih était inconcevable. A ce propos Daniel Rivet note justement « ce qui inquiète, c'est qu'on sépare ainsi l'instruction de l'éducation de l'enfant »
Ainsi les autorités coloniales, mirent en place deux sortes d'écoles qui dispensèrent aux enfants marocains deux types d'enseignement :
L'enseignement de l'élite comprenait :
Les écoles payantes pour les fils de notables et qui dispensaient un enseignement bilingue (25 heures en français et 5 heures en arabe) pendant 5 ans pour aboutir au certificat d'études primaires qui permettait d'accéder aux collèges musulmans ou aux emplois subalternes administratifs et commerciaux.
Les collèges musulmans en deux cycles, de 4 ans plus 2 ans, qui étaient censés former une élite sur laquelle la France comptait pour moderniser le pays.
L'enseignement populaire :
Cet enseignement comprenait quatre sortes d'écoles :
Les écoles urbaines pour les enfants des classes prolétaires des villes, dont le but était de faciliter l'entrée en relation avec les Français. Toutes les matières y étaient enseignées en français. La part de la langue arabe y était limitée à trois heures d'éducation morale par semaine.
Les écoles professionnelles pour la formation des ouvriers dans le domaine de l'industrie.
Les écoles rurales destinées à dispenser, aux ruraux, en deux ans des initiations à l'agriculture et à la langue française.
Les écoles régionales qui avaient pour mission l'accueil des enfants ruraux les mieux doués pour les préparer au CEP.
Schématisation de l'enseignement importé.
Le système de l'enseignement colonial orientait les élèves vers les universités françaises et l'I.H.E.M.
La politique coloniale ciblait l'enseignement qui semblait être l'arme la plus redoutable « Grâce à l'instruction, nous pouvons influencer la nouvlle pensée marocaine. A l'aide des écoles, nous allons préparer l'élite qui sera au service du protectorat »
Nous soulignons que l'enseignement colonial a rencontré au début de son implantation une forte opposition, surtout de la part des couches populaires. Mais quelques années plus tard, il se trouva devant une très forte demande de scolarisation qui dépassa les prévisions des autorités coloniales.
Ce fut grâce aux nouvelles méthodes pédagogiques, au personnel compétent, à l'organisation bien structurée et aux contenus nouveaux. Par conséquent, grâce à tous ces atouts, il allait rivaliser avec l'enseignement traditionnel en révélant l'archaïsme de ce dernier mais encore plus, en mettant en question la conception éducative jusque-là, adoptée par la société traditionnelle.
C'est sans doute ce que Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi a senti lorsqu'il a comparé les marocains endormis aux gens de la caverne « Ahlou Al-kahf « lorsqu'ils sont revenus à la vie ».
Devant cette situation, où l'enseignement traditionnel régressait, et l'enseignement colonial prospérait, nous remarquons que certaines couches sociales marocaines furent contraintes à accepter le fait accompli. Al-Mokhtâr rapporte « Aujourd'hui, nos enfants sont obligés de participer aux divers domaines de la connaissance, et d'essayer de maîtriser d'autres langues que la langue arabe, sans que cela les empêche de bien se perfectionner dans la langue arabe qui symbolise la gloire des ancêtres et la base de leur apogée ».
Quant à la classe bourgeoise, malgré qu'elle ait jugé excellente l'arabisation totale de l'enseignement pour les enfants marocains, elle préférait mettre ses enfants dans les écoles et les lycées français « Ce qui est bon pour le peuple ne le serait-t-il pas pour les bourgeois ? »
Nous notons au passage, que la plupart des élèves appartenant à des générations qui ont profité de cet enseignement français, occupent actuellement les postes les plus importants dans la société marocaine actuelle.
Quelques années plus tard, les écoles du protectorat donnèrent leurs premiers fruits. Des centaines de jeunes avaient été formées et s'intéressaient aux problèmes du pays.
Ils revendiquaient l'extension de l'enseignement primaire musulman, l'abolition des ségrégations sociales, la réforme de l'enseignement traditionnel, et le soutien de la culture islamique dans l'enseignement mis en place par le protectorat.
Pour aboutir à ces finalités, ils créèrent des associations et organisèrent des activités culturelles, publièrent des articles. Les efforts ne furent pas vains. Le grand vizir Mokri avait demandé l'équivalence du diplôme de fin d'étude des collèges musulmans et du baccalauréat. On lui refusa mais on créa un Baccalauréat Marocain avec programme étendu d'Arabe. En 1941, une section normale fut créée pour la formation des maîtres d'arabe.
L'implantation de l'enseignement colonial dans la société traditionnelle marocaine, entraîna l'apparition d'un nouveau type de socialisation de l'enfant marocain, appelé par certains « modernisé », mais qui était en réalité hybride. Il comportait en même temps des éléments du modèle traditionnel et des éléments importés par le modèle français.
Il constituait une sorte de mélange qui exposait l'enfant et l'adolescent marocains à une nouvelle sorte d'agression par les pressions traditionnelles d'un coté, et les aspirations à l'adaptation à une nouvelle culture étrangère de l'autre.
Ce modèle hybride, a été accepté et toléré par les classes aisées, ce qui lui a permis d'envahir toutes les institutions d'enseignement, y compris l'enseignement islamique originel, sous prétexte de réforme.
Le système de la double culture, était généralisé à toutes les écoles, ce qui fut rejeté par la jeunesse nationaliste qui revendiquait la démocratisation de l'enseignement, son unification, sa gratuité, son arabisation et sa marocanisation, ce qui a provoqué un conflit avec les autorités du protectorat, conflit qui allait pratiquement se poursuivre jusqu'à la veille de l'indépendance du Maroc, en 1956.
3-2 La naissance d'un nouveau type d'enseignement.
Il s'agit de l'apparition en grand nombre d'écoles libres, comme réponse contestataire à l'enseignement instauré par la France au sein du corps social marocain, ainsi qu'à la politique menée dans le pays par les autorités coloniales, et qui visait à l'enracinement de la culture française chez les indigènes.
L'école libre vit le jour sept ans après la signature du traité instituant le protectorat français.
Nous soulignons également que l'enseignement traditionnel marocain fut étroitement lié à la création et au développement des premières écoles libres pendant la deuxième décennie du XX ème siècle, et cela pour deux raisons majeures :
-Les premières écoles libres ne furent en réalité que des institutions traditionnelles transformées et rénovées. A ce propos, nous rappelons le cas de la zaouia de Rmila que Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi a transformée en école.
-La plupart des fondateurs et enseignants dans les écoles libres, avaient reçu un enseignement purement traditionnel.
A ceci il faut ajouter aussi un autre facteur qui n'était pas moins important, et qui a aidé au développement des écoles libres. Ce fut le mouvement salafiste dont les idées réformistes ont gagné le Maroc pendant les dernières années du XIXème siècle. Ce mouvement n'était plus uniquement « religieux visant la sauvegarde de l'islam, mais également un appel au progrès, au renouveau et à la quête d'un avenir meilleur ». C'est ainsi que les réformistes marocains donnèrent la priorité à la création des écoles libres, outil efficace pour la diffusion du nationalisme.
3-2-1 L'évolution des écoles libres musulmanes.
A coté de l'enseignement traditionnel populaire et de l'enseignement officiel dispensé dans des écoles franco-musulmanes, il y avait aussi l'enseignement libre musulman dont le contrôle n'a été assuré par la direction de l'instruction publique qu'à partir de 1952.
Les écoles libres musulmanes étaient financées par des particuliers ou par des collectivités locales. Les leçons y étaient données principalement en arabe par des enseignants marocains.
Les programmes scolaires des écoles libres ont été inspirés en grande partie des programmes de l'enseignement traditionnel, avec l'ajout de certaines matières comme le calcul, l'histoire, la géographie et des initiations au français. Certaines écoles libres musulmanes ont même introduit dans leurs programmes des initiations aux sciences. Ces matières ajoutées les différenciaient de l'enseignement traditionnel.
Il faut noter que les programmes enseignés différaient d'une école à l'autre, et que certaines bénéficiaient de la présence d'excellents maîtres, comme ce fut le cas de l'école Al-Nasirya à Fès, dans laquelle Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi avait donné des leçons alors qu'il était encore étudiant à Fès.
Si en 1919, quelques écoles libres, ouvrirent leur portes à Rabat, à Fès,et à Tétouan, quelques années plus tard, d'autres écoles libres s'ouvrirent à Salé, Marrakech, Casablanca, El Jadida, Safi et Essaouira. En 1930, on comptait déjà au Maroc 30 écoles libres musulmanes, dont certaines adoptaient simplement les programmes français, comme ce fut le cas à l'école de Guessous de Rabat.
La multiplication des écoles libres a amené les pouvoirs publics à légiférer sur la proposition de la D.I.P. Le Dahir du 1er avril 1935 appliqua aux Marocains, avec quelques adaptations, le Dahir du 14 octobre 1919, relatif aux écoles primaires privées à l'usage des étrangers. Désormais, le contrôle de ces écoles privées - à cause de la montée du nationalisme - fut confié au directeur de l'instruction publique, ce qui a entravé relativement le développement de ces écoles mais leur a donné le caractère d'écoles coraniques
Après deux ans seulement, le 11 décembre 1937, un autre Dahir réglementa l'enseignement traditionnel des msids dans le milieu urbain.
La fondation de nombreuses écoles libres se poursuivit, le sultan Mohamed V en inaugura en personne certaines, à Fès, à Rabat, à Casablanca, et à Marrakech. En 1948, une commission de réforme se réunit et demanda la création d'un ministère marocain de l'éducation nationale qui devrait contrôler tous les types d'enseignement existant au Maroc à l'exception d'Al-Qarawiyine qui resterait dans l'obédience du Makhzen central.
Quant à la mosquée d'ibn Youssef à Marrakech, elle abritait aussi des cours comparables à ceux qui étaient dispensés à Al-Qarawiyine, mais elle était en seconde position.
En général le but primordial de l'enseignement libre, fut de nourrir le nationalisme chez les jeunes et de maintenir une culture religieuse traditionnelle en face de la culture moderne importée, tout en essayant de se montrer un peu plus ouvert par rapport à l'enseignement traditionnel.
Ainsi, la fondation des écoles libres se poursuivit en concurrençant l'enseignement du protectorat. On donna à ces écoles des noms tels que Taqaddoum ( le progrès), Islâh (la réforme), Nahda (la renaissance) ou encore Mohamedya, Mohamed V, etc... Ce qui exprimait en même temps les aspirations du peuple marocain.
En peu de temps, on pouvait déjà constater l'existence de plusieurs types d'écoles libres :
-Des msids coraniques, régis par le Dahir du 11 décembre 1931, dans lesquels seul le Coran était enseigné.
-Des écoles libres musulmanes, régies par le Dahir du 14 octobre 1919, le Dahir du 14 septembre 1921 et le Dahir du 1er avril 1935. Ces écoles suivaient sensiblement les mêmes programmes que les écoles officielles, et conduisaient au C.E.P.M.
-Des msids dits « rénovés » où étaient enseignées à la fois les matières religieuses et les matières profanes en plus d'un enseignement de la langue française dispensé aux élèves quelques heures par semaine.
-Enfin, des msids qui n'avaient pas de statut légal et qui préparaient au C.E.P.A.
Après le « Dahir berbère », les conditions favorisèrent la création d'écoles libres à tendances nationales et islamiques, ce qui contribua à un mouvement de lutte dans le domaine de l'enseignement par des intellectuels qui allèrent dans les villes les plus importantes. Ainsi « Mohamed Al-Ghâzî fut envoyé à Casablanca, Abdessalam Al-Wazzânî à Oujda, Al-makkî Al-Nâsitî à Tétouan, Ibrahim Al-Wazzânî à Taza, Bouchta Al-Jâmi'î à Kénitra, Al-Mokhtâr Al-Soussi avec son frère Ibrahim Al-Ilghî à Marrakech ».
Si nous nous limitons à examiner uniquement le cas de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi qui nous intéresse ici, nous remarquons, qu'une fois arrivé à Marrakech, il transforma la zaouia de Rmila en une école libre après qu'il y eut réduit les activités des fouqra Darqâwas, en leur réservant des moments précis au cours de la semaine pour l'exercice de leurs rites.
Ce geste d'Al-Mokhtâr est plus que symbolique. L'enseignement traditionnel, surtout dans les villes, commença à connaître des changements imposés par les besoins de la société qui était en pleine mutation.
Grâce à sa manière d'agir, Al-Mokhtâr a pu convaincre certains oulémas de Marrakech, même ceux qui le jalousaient auparavant, à s'allier avec lui pour créer des écoles libres.
Il ne s'écoula que peu de temps avant que ces oulémas et Al-Mokhtâr, fondent sept écoles libres en parallèle à celle qui existait déjà à Rmila.
Il faut noter également que cette fièvre d'ouvrir des écoles libres, n'était justifiée que par l'absence de partis politiques convenablement organisés.
Ce phénomène de prolifération des écoles libres, incarnait en quelque sorte un moyen de lutte nationaliste à travers le champ de l'enseignement, mais les autorités coloniales ne tardèrent pas à lutter contre cet enseignement qui se répandait, et ordonnèrent la fermeture de la majorité des écoles libres.
3-2-2 Les objectifs de l'enseignement libre.
Au début, les écoles libres visèrent à la diffusion de la langue arabe et les études islamiques négligées par l'enseignement du protectorat.
Mais, par la suite, leur cible fut de sensibiliser les enfants dés le plus jeune âge au patriotisme pour les préparer à la lutte contre l'occupant et sa culture.
Ces écoles imprégnèrent les esprits des enfants du sentiment patriotique par des leçons de religion, d'histoire, de géographie, de poésie et de récitation.
Mais malgré tous ces efforts pour atteindre les objectifs ciblés, la plupart des parents envoyèrent leurs enfants dans le but d'un apprentissage meilleur que dans les institutions traditionnelles, tout en insistant sur le perfectionnement de la langue arabe et des matières islamiques, sans arrière-plan politique.
La déclaration d'un notable de la ville de Fès atteste sans équivoque la manière de voir répandue à l'époque. « Je ne suis pas intéressé, dit-t-il, à ce que mon fils apprenne en calcul, quand et où, un train venant de Tanger à une vitesse telle, et un autre venant de Marrakech à une vitesse telle, se croisent-t-ils ? Ce que je veux, c'est que mon fils parle la langue arabe, l'écrive parfaitement et apprenne par coeur le Coran ».
Durant les années trente, l'objectif essentiel pour les parents des enfants scolarisés dans les écoles libres, était la maîtrise de la langue arabe et l'attachement à l'islam, mais celui des fondateurs de ces écoles était en plus le nationalisme, ce qui les poussa à envoyer, dans le cadre des partis politiques, leurs étudiants au Caire en Egypte pour des études supérieures.
« En 1937, un groupe de dix étudiants a été envoyé par le comité national, qui s'est chargé des frais de certains étudiants du groupe, tandis que les familles aisées ont pris en charge les autres »
Nous soulignons à propos des écoles libres, que leur extension fut un phénomène purement citadin, pendant les années trente. Dans les régions rurales, l'enseignement traditionnel continua sa mission ancestrale.
Pour ce qu'il en est de la région du Souss, le mouvement des écoles libres ne fut pas aussi important que dans le reste du pays au-delà de Marrakech, car, le plus grand nombre des médersas 'atîqas, se trouvait dans des zones rurales peu politisées et aucun parti n'était là pour prendre une telle initiative.
La seule médersa qui ait été transformée en école libre en 1932, fut la celle de Moulay Sa'id Al-'Alaoui à Taroudant. L'enseignement qui y était dispensé était purement religieux.
En 1945, l'école libre Al-Hassanya fut ouverte dans la ville d'Agadir, à Talbourdjt, mais en 1951, son directeur fut emprisonné.
4- La situation à l'aube de l'indépendance.
Quand l'heure de l'indépendance vint à sonner pour le Maroc en 1956, le pays se trouvait donc en face de quatre types d'enseignement :
-Un enseignement traditionnel en mutation dans les zones urbaines et qui gardait malgré tout, une pédagogie traditionnelle et la majorité des programmes de l'ancien temps. Tandis que dans le milieu rural, il n'avait connu aucun changement notable. Les tolba et les fouqaha continuaient à dispenser aux élèves peu nombreux -la plupart d'entre eux, étant absorbés par d'autres types d'enseignements- le même enseignement qu'avant le protectorat.
Mais, il est à signaler que l'enseignement du premier et du second degré, dépendait du Makhzen surtout dans les villes, et de la jma'a dans le milieu rural. Quant au niveau supérieur, il ne dépendait que du Makhzen depuis sa restructuration qui avait débuté en 1332 H (1914).
-Un enseignement libre, placé aussi sous l'autorité du Makhzen, et qui avait une orientation arabo-musulmane moderne, et comme langue principale, la langue arabe classique.
-Un enseignement français et franco-israélite qui dépendait de la D.I.P. et qui véhiculait la culture étrangère par la langue française.
-Un enseignement franco-musulman, dépendant aussi de la D.I.P. et qui véhiculait une double culture, mais qui utilisait la langue française comme langue principale.
Par conséquent, nous notons que la socialisation des enfants marocains n'était pas du même ordre selon les milieux auxquels ils appartenaient , et elle ne l'est pas non plus même de nos jours.
En se référant aux types d'enseignements précédents, nous pouvons en déduire qu'il y avait au moins trois types de socialisations :
Une socialisation purement traditionnelle, surtout dans le milieu rural, d'ailleurs le plus conservateur, et qui aspirait à faire revivre le passé dans le présent. Cette tendance est encore active actuellement autour des fouqaha conservateurs.
Une socialisation forgée à la manière française, surtout dans les familles les plus aisées, dont les corps se trouvaient sur le continent africain mais les esprits en Europe. Dans ces milieux, l'enfant était éduqué dès sa naissance à l'européenne, il ne parlait qu'en français et il ne fréquentait que des établissements français, que ce fût au Maroc ou en métropole.
Enfin, une socialisation un peu mixte, qui essayait de marier le traditionnel et le moderne.
La multiplicité des enseignements qu'engendre la diversité de socialisation, n'entraîne en fin de compte que de l'absence d'un projet éducatif homogène qui pourrait satisfaire les besoins des différentes couches sociales.
Et, parmi les paradoxes les plus apparents, il convient de relever le fait que l'élite sociale qui appartenait au mouvement national ou qui le dirigeait, plus elle critiquait la politique non nationaliste de l'enseignement au Maroc, et plus elle inscrivait ses enfants dans les écoles européennes. Ce phénomène est encore d'actualité.
Ainsi, à l'aube de l'indépendance, cette élite qui était la seule apte socialement et culturellement à endosser les responsabilités, n'avait comme soucis que la continuité du modèle français. Elle ne pouvait pas se libérer de la pesanteur de ses pensées et de son appartenance sociale, pour donner à l'indépendance son vrai sens sur les plans politique, social, économique et culturel.
Cependant, pour satisfaire partiellement les diverses aspirations des couches sociales marocaines, éviter les divergences et rapprocher leurs intérêts, on imposa des solutions - mais provisoires -résumées dans les quatre principes de l'enseignement, considérés comme la panacée, qui étaient : La généralisation, l'unification, l'arabisation, et enfin la marocanisation.
Mais dans les faits, il n'y avait pas de changements de fond par rapport aux structures et au mode d'enseignement, qui, institués par le protectorat français, sont restés comme un héritage et que le pouvoir central du Royaume gardait et soutenait jusqu'à présent.
Quant à l'enseignement libre, il s'est détaché après l'indépendance de sa mission nationaliste pour laisser libre cours aux agissements des spéculateurs. Il est devenu un domaine d'affaires commerciales.
Dans les quartiers populaires, les écoles libres recevaient les exclus de l'enseignement public, tandis que celles des quartiers bourgeois, représentaient en quelque sorte, le prolongement des écoles de la mission française.
Quant à l'enseignement originel, issu de l'enseignement traditionnel, il est resté depuis l'indépendance jusqu'à présent dans une situation instable. Après qu'il avait connu, durant les premières années de l'indépendance, un développement (l'élargissement de ses bases primaires, secondaires, et la création de nouveaux centres) une décision de suppression progressive, fut prise pendant le premier plan quinquennal (1960 - 1964) dans le cadre d'une planification générale pour la réalisation de l'unification.