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CHAPITRE V Mokhtar soussi

CHAPITRE V
Les institutions de l'enseignement traditionnel dans la région du Souss

      

      * A noter que le kouttab est le plus souvent présent dans les milieux urbains.

      Commentaire :

      Le taleb peut être celui qui enseigne dans la mosquée ou dans la médersa coranique, comme il peut être l'étudiant dans la zaouia ou dans la médersa 'ilmya. Il a appris par coeur tout le Coran.

      Le faqih est beaucoup plus savant et enseigne dans les niveaux supérieurs.

      Les niveaux de l'enseignement traditionnel dans le Souss sont classés par ordre croissant comme ceci : La mosquée, la médersa coranique et enfin la médersa 'ilmya ou la zaouia. Il n'y a pas de kouttab dans les campagnes soussies comme c'est le cas dans les milieux citadins.

      La première institution pour l'enseignement de l'islam fut celle que mit en place le deuxième khalife 'Omar ben Al-Khatâb. Il réunit les enfants des croyants et chargea Abdellah Al-khouzâ'î de les instruire. Il lui fut attribué un salaire prélevé sur le Baït Al-mâl, la trésorerie des musulmans.        Cette tradition se propagea dans les tribus du Souss parmi les premiers musulmans qui, lors de la propagation de l'islam, édifièrent des mosquées jusque dans les plus humbles villages.

      La tâche de l'enseignement dans le Souss fut confiée aux mosquées et ce jusqu'à nos jours. La première médersa y fut construite, à Aglou, aux alentours de Tiznit, au début du Vème siècle de l'Hégire (XIème) « C'est la première médersa connue dans la campagne marocaine, sous le nom de Ribat. [...] Les mosquées jouaient le rôle des médersas avant l'existence de celles-ci »   

      Quelles sont donc les différentes institutions qui dispensaient cet enseignement traditionnel dans le Souss ?

      A travers les ouvrages de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi, Nous avons relevé quatre sortes d'institutions :

      - La mosquée.

      - La médersa coranique.

      - La zaouia.

      - La médersa 'atiqa   des sciences théologiques.

      Nous notons que ce sont des institutions populaires, dont les plus renommées sont les médersas 'atiqas, appelées aussi 'ilmya (médersas des sciences religieuses).


1- La construction des lieux d'enseignement dans le Souss.

      Ces constructions populaires étaient édifiées par les hommes des tribus suivant le type d'habitation existant dans la région du Souss. Habituellement, on utilisait un matériau local. Les murs étaient construits à base de pierres jointes par de l'argile ou de la terre battue que l'on pilait dans un coffrage en bois. Le toit était couvert d'abord avec du bois, puis avec de la terre mélangée de paille pour éviter les infiltrations d'eau.

      Signalons que pour bénéficier de leur baraka tout le monde tenait à participer à la construction de ces édifices, qui jouissaient d'une certaine sacralité. Pour mieux illustrer notre propos par un exemple, attardons nous sur le cas de la médersa populaire soussi.


2- L'architecture de la médersa 'atiqa.

      L'ébauche de plan de la médersa était faite par les gens de la tribu, ils déterminaient le lieu de la construction et le nombre de chambres. Nous soulignons que la plupart des médersas furent construites à proximité des marabouts ou des zaouias. Ceci s'explique, à notre avis, par deux raisons :

      - La première dans un but d'établir des relations avec les soufis qui fréquentaient ces lieux.

      - La deuxième dans le but de profiter facilement des dons offerts aux saints locaux.

      On trouve dans la médersa les mêmes locaux que dans la mosquée, tels que la chambre du maître, la classe pour l'enseignement, Al-maqsourt ou enceinte destinée aux prières, Akhourbich, chambre pour faire bouillir de l'eau, la chambre des ablutions, plus la cuisine, le grenier pour emmagasiner les dîmes versées à la médersa, qui font vivre les tolba, et enfin les chambres des tolba, individuelles ou à deux suivant leur nombre.

      Il existe aussi un endroit appelé lamhi, lavoir où les tolba lavent leur planchette. Son conduit diffère de celui de la chambre des ablutions. Il est dirigé vers l'extérieur, souvent dans un petit jardin où l'on plante de la menthe ou de l'absinthe pour préparer du thé.

      La médersa est aussi pourvue d'un puits ou d'une Tanout, sorte de citerne souterraine pour garder les eaux de pluie. Elle est enduite de chaux pour assurer étanchéité. La médersa à l'époque d'Al-Mokhtâr n'avait pas de toilettes. Les besoins naturels se faisaient dans la nature. Actuellement encore, rares sont celles qui sont dotées de lieux d'aisances.

      En cas de réparation de la médersa, toute la tribu se mobilise pour réparer la médersa qui menace de s'écrouler. Al-Mokhtâr dit « Etant encore petit, j'étais présent à la médersa Ighchân qui était très vieille et fissurée de tous les cotés. La tribu s'est rassemblée à la demande du cheikh Al-Hadj Ibrahim Al-Ighchânî pour la reconstruction de la médersa après en avoir démoli la plus grande partie, c'était en 1329 H (1911) ».  

      Attenante à la cuisine, se trouve la chambre de la tawaya  qui prépare les repas pour le faqih et les tolba. C'est le faqih lui-même qui lui donne la quantité nécessaire, d'orge ou de blé, pour la préparation des repas habituels, matin, midi et soir. « Il nous est possible de dire qu'une seule personne ne peut pas toute seule construire une médersa sans l'aide des autres. Ceci par manque de moyens, contrairement à la région de Marrakech, où une seule personne peut tout faire grâce à la richesse de terres fertiles ».  

      Le seul cas qu'Al-Mokhtâr nous cite fut celui de la médersa de Timgguiljt, mais celui qui s'en occupa n'a pas pu continuer sans l'aide de la tribu qui lui attribua le tiers des dîmes. Il faut noter aussi que la médersa appartient à toute la tribu, tandis que chaque village a sa propre mosquée qui dispense un enseignement pour les enfants appelés à ce stade primaire : imhdâren (élèves) Voir (annexe page :300) L'Amhdâr est l'élève débutant qui n'a pas encore mémorisé tout le Coran.

      Nous soulignons que la multiplicité des médersas 'atiqas dans le Souss remonte au VIIème siècle (XIème ) à l'époque des Almoahades.

      Après l'avènement de la dynastie Alaouite, elles proliférèrent encore plus « Quand fut arrivé le règne de la dynastie Alaouite, ces médersas se multiplièrent et atteignirent les deux cents selon Al-Mokhtâr Al-Soussi   Elles formèrent de nombreux oulémas et moujahidine, à tel point que le Souss devint comme l'Orient arabo-islamique[...] Il était évident que toutes les sciences enseignées à l'époque à Fès, étaient enseignées dans le Souss avec une légère    différence dans le style d'enseignement ».  

      Nous remarquons qu'actuellement les constructions traditionnelles des médersas connues à l'époque d'Al-Mokhtâr, sont remplacées progressivement par de nouveaux matériaux : briques, ciment et béton armé. Dans certaines, on trouve aussi des toilettes et l'électricité ou à défaut un capteur d'énergie solaire, tout un confort inconnu au temps d'Al-Mokhtâr. Ces progrès ont pu voir le jour grâce aux aides des soussis émigrés dans les grandes villes du Maroc ou bien en France.


3- Assistance aux tolba dans la médersa.

      Il y a des tribus soussies qui portent une grande attention aux demandeurs du 'ilm dans les médersas. Les gens de la tribu leur préparent leur demeure, et à tour de rôle, de la nourriture selon le niveau de vie des foyers, et la leur font porter à dos d'âne ou de mulet. Souvent, il s'agit de couscous, de pain, d'huile, de sucre, de thé et quelquefois de viande, aliment rare à l'époque et qui n'était consommé que dans les familles aisées.

      Durant le Ramadan la nourriture est beaucoup plus abondante après la rupture du jeûne. Tout le monde cherche à bénéficier du consentement de Dieu à l'occasion de ce mois sacré.

      Une autre coutume en faveur des tolba, fut en usage dans le Souss. Ce fut la tartbit, qui se traduit par l'adoption par une famille d'un taleb étranger à la région, appelé aussi Al-msâfr (voyageur) et qui habite dans la médersa. A chaque repas, le taleb va dans sa famille adoptive chercher sa nourriture. Ceci peut durer jusqu'à ce que le taleb quitte la médersa. Certaines fois l'adoption se termine même par un mariage. La famille ayant remarqué la rectitude du taleb, finit souvent par lui proposer la main d'une jeune fille à marier. « Le taleb étranger choisit un homme ou deux parmi les habitants chez qui il va chercher matin et soir la tartbit [...] certains finissent par adopter le taleb étranger en le mariant et en lui donnant des biens s'ils n'ont pas de garçon [...] cette assistance était très répandue dans les tribus soussies aux alentours de Taroudant et Achtouken depuis des générations, mais aujourd'hui, tel n'est plus le cas ».  

      Cette coutume a certainement encouragé les jeunes à persévérer dans l'apprentissage des sciences religieuses. Elle s'est propagée un peu partout au Maroc, à Marrakech et même à Fès.

      Quand il y a une cérémonie chez quelqu'un, le faqih de la médersa avec ses tolba sont les premiers à être invités, car ce sont eux qui vont procéder à la lecture du saint Coran en totalité en utilisant Attafrîq   et en lisant ensemble à haute voix des passages d'éloges prophétiques et poétiques composés par le célèbre Al-imam Al-Bousaïrî.  


4- Le chard de l'enseignant.

      L'enseignant est porteur de la bannière de la chari'a dans le Souss. Il est maître dans cette société berbère attachée à ses traditions ancestrales et composées de plus de soixante dix tribus. Dans chaque tribu il y une médersa ou plusieurs, et dans chaque village, au nombre de sept mille, on trouve une mosquée.

      Le grand nombre d'institutions d'enseignement traditionnel attire les fouqaha et les tolba à s'engager pour enseigner par une sorte de contrat appelé chart (condition).

      Dans le berbère Soussi c'est le chard avec un (d) au lieu de chart en arabe, qui signifie l'engagement de l'enseignant à exercer ses fonctions et celui de la jma't (jma'a) de la tribu à lui donner une rémunération selon les conditions fixées et exigées préalablement par les deux parties. C'est en fait un contrat non écrit entre les deux parties, validé une fois qu'il est accepté, par la lecture de la sourate Al-fatiha ou l'ouvrante.

      Dans le contexte social du Souss, le terme chard désigne également le montant de la rémunération en argent et en nature que la tribu donnait annuellement au faqih.. Al-Mokhtâr rapporte :   « Il est de coutume que la rémunération de l'instituteur soit annuelle et non mensuelle, et, ceci est général dans tout le Maroc, de Oued Noun jusqu'à Oujda. Mais la rémunération diffère suivant les campagnes, le nombre d'habitants, leur richesse ou leur pauvreté, ce que les gens possèdent et ce qu'ils produisent ou gagnent dans leur vie.[...] Le maître d'école reçoit une quantité déterminée d'orge que les gens lui donnent après les récoltes. Chacun sait combien il lui doit. En plus tout le monde participe au labour du terrain destiné au maître d'école, à l'aide des animaux que chacun possède. L'instituteur, ce jour là, doit leur préparer à manger. Pendant le printemps, les habitants qui possèdent des chèvres ou des vaches donnent au maître sa part de beurre. Ceux qui ont des moutons lui doivent une tonte de laine.

      Dans certaines campagnes les gens lui donnent deux boisseaux de carottes sèches.

      Au moment de la fête de tafaska, du mouton, toute personne adulte donne un qirch (écu) pour que l'enseignant achète son Tafaska».  

      Si quelqu'un de la tribu ne donne pas ce qu'il doit au faqih comme part du chard, il est puni par une amende selon le registre du droit coutumier, exécutée par les inflass, les chefs de la tribu.   

      Al-Mokhtâr nous a détaillé la rémunération due au maître d'école. Mais il y a aussi diverses donations de la part des parents des enseignés lors de certaines occasions et quand ils reviennent d'un voyage effectué hors la région.

      Quant à son alimentation journalière, l'enseignant la recevait quotidiennement des habitants à tour de rôle comme cela fut la coutume dans le monde rural marocain.

      « Pour le déjeuner et le dîner, on la lui apporte dans un petit récipient couvert, reposant dans un plat en bois à trois pieds [appelé localement Al-maïda]. A notre connaissance, les gens du Souss donnaient beaucoup d'importance à la nourriture du faqih ou du taleb enseignant à tel point que les femmes déployaient tous leurs efforts pour être à la hauteur. Mais malheureusement ces bonnes habitudes ont disparu dans la nouvelle génération ».  

      Nous notons aussi que les gens de la tribu choisissent l'enseignant d'âge mûr, barbu, correct, bien formé dans le domaine des sciences religieuses et enfin, autant que possible, marié.  Ils lui préparent un logement jouxtant les bâtiments de l'institution afin qu'il soit disponible pour exercer toutes les tâches attendues de lui par les habitants. Les fouqaha qui n'ont pas de barbe n'arrivent pas à trouver une place pour enseigner. Il y a des fouqaha qui détestent le chard. « Le chard en notre temps est une bassesse.[...] Travailler la terre un jour ou deux vaut mieux que le chard de toute l'année ».   

      Mais il y en a d'autres qui recouraient à tous les moyens pour être engagés dans une médersa, allant même jusqu'à corrompre des Inflas pour faire renvoyer un faqih engagé et prendre sa place.   

      Comme les fouqaha n'étaient pas tous des anges, certains allaient même jusqu'à commettre des crimes, à cause de leur ardente convoitise pour le chard. Tel fut le cas du faqih Al-Mahfouz Al-Tighmrtî qui voulait enseigner dans la médersa Aït 'âmr à Achtouken, et qui a empoisonné le faqih Mohamed ben Ahmed Al-ktîwî qui y était en fonction, avec la complicité d'une femme corrompue qui avait l'habitude d'apporter du lait au faqih  


5- Les fonctions de l'enseignant.

      Dans l'enseignement traditionnel Soussi, nous devons distinguer entre les fonctions du taleb de la mosquée ou de la médersa coranique, et celles du faqih dans la médersa 'ilmya ou dans la zaouia.

      Cette distinction s'impose par le critère de leur culture distincte. Le taleb a un savoir relativement limité. Il a mémorisé le Coran, mais il ne maîtrise pas bien la langue arabe et les autres matières des sciences religieuses. Mais en tout état de cause, il ne peut être que supérieur aux analphabètes qui vivent autour de lui.

      Quant au faqih, lui, il est classé dans le rang des oulémas ou savants. Il a la capacité d'interpréter les textes sacrés et d'émettre des fatwas.


A ) Les fonctions du taleb :

      a - L'enseignement des imhdâren :

      La fonction primordiale du taleb est d'enseigner le Coran aux imhdâren ou élèves, et ceux-ci doivent l'apprendre par coeur jour et nuit. Il leur enseigne aussi les bases de la religion musulmane, comment faire les ablutions, l'appel à la prière, la pratique des différentes prières et les cinq piliers de l'islam.

      Il lui incombe aussi de leur apprendre l'alphabet arabe l'écriture et un rudiment de calcul par une pédagogie basée sur la religion.

      b - La prière :

      Le taleb est appelé, dans la mosquée ou dans la médersa coranique à présider les cinq prières quotidiennes. C'est lui qui est l'imam des fidèles et le guide dans l'accomplissement du culte.

      Il doit présider également les prières occasionnelles pendant les fêtes religieuses, et à certaines occasions, telle que la prière des obsèques (Al-janâza) ou celle pour obtenir de la pluie, prière de (Al-istisqâ.) Il assiste les agonisants et récite des prières sur les tombes. En plus des fonctions susmentionnées, certains tolba en exercent d'autres en parallèle, pour répondre aux besoins de la société.

      c - La couture :

      Dans le Souss, certains tolba sont d'excellents tailleurs. Les gens leur apportent du tissu pour en faire des djellabas. Tout en surveillant les petits qui apprennent le Coran, le taleb a tout son temps pour coudre à la main des tissus en laine pour les demandeurs de djellabas. Cette tâche aide les tolba à améliorer leur situation financière, généralement difficile dans les régions rurales du Souss.

      d - La médecine :

      D'autres prétendent guérir les maladies et utilisent diverses techniques pour gagner leur vie, tout en concurrençant les walis et les vieilles femmes connues par leurs tiqidt ou pointes de feu.

      Par exemple pour apaiser un mal de dent, le taleb grave sur terre à l'aide d'un clou, sept lettres de l'alphabet arabe, puis il enfonce le clou dans la première lettre et lit quelques versets coraniques sept fois, en mettant son doigt sur la dent atteinte. Si la douleur se calme, il enfonce complètement le clou, sinon, il déplace son clou à la lettre suivante et ainsi de suite.  

      Il y a encore le taleb guérisseur par sa baraka « S'il met la main sur un endroit douloureux, la douleur disparaît immédiatement ».   

      Les tolba ignorent complètement les maladies mentales, et attribuent aux djinns, toutes les maladies dont ils ne peuvent déceler les étiologies. En quelque sorte, ceci les arrange, puisqu'ils monopolisent le secret qui leur sert de gagne-pain.

      e - La magie.

      En dehors des produits toxiques ou non, la magie exercée par le taleb, ne peut être en fait que prières et incantations dont l'objectif vise à entraîner le déclenchement d'un processus occulte visant à soulager l'angoisse des âmes.

      Est-ce pour cette raison que la magie subsiste dans la vie des soussis ?

      Aussi, n'est-t-il pas surprenant de voir le taleb-sorcier s'adresser au génie en brûlant labkhour    (l'encens) et en récitant les paroles destinées à éloigner les djinns ?

      Le taleb ne manque pas d'écrire, et c'est très connu dans le Souss, des versets coraniques sur un bol de porcelaine avec le smah, l'encre utilisée par les imhdâren pour écrire sur leur planchette, en recommandant au patient de laver cette écriture et de laisser cette eau de lavage sept nuits sous les étoiles avant de la boire. Geste dangereux à notre avis !

      Pire encore,  dans la pharmacopée populaire, l'eau avec laquelle on a effacé les versets des planchettes, sert de remède. Certains tolba sont réputés par leurs écrits guérisseurs tandis que d'autres condamnent ces pratiques et refusent d'utiliser le Coran dans des pratiques qu'ils jugent magiques. Le moyen âge chrétien occidental a connu de telles pratiques.   

      Partout où il va, le taleb a toujours sur lui son encrier et du papier pour écrire les talismans, même au souk. Sa clientèle comporte même les non musulmans.

      Al-Mokhtâr rapporte qu'un taleb a écrit un harz pour un Juif « Un Juif a sollicité un taleb pour lui écrire un harz. Celui-ci lui demande Al-foutouh ( ce que l'on donne au taleb en échange de son service) et le Juif lui donne un quart [ un quart du rial Hassani] le taleb lui écrit alors autre chose que des versets du Coran. Que Dieu le récompense, car il n'a pas donné le saint Coran à l'impur»    (Aujourd'hui le Coran est à la portée de tout le monde)

      Si une femme ne désire plus avoir une nouvelle grossesse, elle n'a qu'à aller voir le taleb qui lui écrit un harz ou talisman qu'elle doit garder sur elle avec précaution, et des tifrawines ou des petites ailes en papiers écrites avec des versets du Coran ou des symboles, qu'elle doit brûler au moment des règles.

      Le taleb soussi dispose d'un autre arsenal qui est le souverain remède à tous les maux dont souffrent les patients venus solliciter son pouvoir surnaturel. C'est le « 'ilm Al-hourouf », (numérologie) dont le taleb se sert pour désigner le jour présumé où le patient a contracté telle ou telle maladie, car à chaque jour est lié un djinn.

      Il s'en sert aussi pour déterminer les axes futurs de la vie de l'individu en comptant les nombres correspondant aux lettres qui composent son prénom et celui de sa mère, puis en divisant le tout, par douze.

      En prétendant connaître l'avenir des gens, dévoiler les malfaiteurs et retrouver les objets volés, le taleb risque de semer des conflits au sein de la société plus qu'il n'en règle.

      Nous notons que malgré la condamnation coranique de la magie formulée dans le Coran   la magie reste enracinée dans le pays sous l'effet du substrat animiste qui sous-tend l'arrière plan des mentalités depuis la nuit des temps.

      f - Interprétation des songes.

      Le taleb par sa culture religieuse, a aussi la tâche d'interpréter les songes des gens qui le lui demandent. Sachant que ceux-ci accordent une grande importance à leurs songes, surtout que c'est bien mentionné dans le Coran,    et que le songe est une fraction parmi les quarante six fractions de la prophétie.   

      De temps en temps, avant ou après les prières communes dans la mosquée, il y a souvent une personne qui s'isole avec le taleb pour le solliciter d'interpréter son songe loin de la présence des autres. Cela doit rester secret.

      A notre connaissance, l'ouvrage le plus connu en la matière est celui de Ibn Sîrîne, auquel se réfère le taleb Soussi.

      A titre d'exemple, si quelqu'un a rêvé du tonnerre accompagné de vent, cela symbolise le despotisme du sultan. Les éclairs pour le voyageur symbolisent la peur. Le tonnerre accompagné de la pluie symbolise la guérison des malades. L'arc-en-ciel a des interprétations diverses selon la couleur dominante : S'il est vert, la récolte sera bonne, s'il est jaune, c'est la maladie, s'il est rouge, cela implique l'effusion de sang    et il y a lieu de s'attendre à des guerres.

      La plupart des tolba et fouqaha qui ont une relation avec les confréries religieuses, affirment avoir vu le Prophète (BSDL) dans leurs rêves.

      g - Extraction des trésors enfouis.

      Les tolba soussis sont réputés à travers tout le royaume, pour l'exercice des techniques de détection et d'extraction des trésors enfouis et gardés par les djinns. Mais à notre connaissance, en dépit de la croyance des populations en ces agissements des tolba, ce n'est qu'un moyen de filouterie et des pièges dans lesquels tombent les personnes naïves. Les tolba ont tissé autour de ce sujet tout un monde insolite plein de merveilles, de prestiges et de miracles afin de donner la preuve de leur pouvoir sur les djinns.

      Al-Mokhtâr rapporte que « L'alchimie ancienne et l'engouement pour les trésors allaient toujours en parallèle. Celui qui ouvre un petit trou dans ce domaine risque d'avoir un grand trou d'abord dans sa raison, et puis dans son comportement. Les soussis en sont entichés à tort ou à raison ».  


B ) Les fonctions du faqih.

      Le faqih ayant un niveau culturel et intellectuel beaucoup plus élevé que le taleb, ne s'adonnait pas aux tâches diminuant sa valeur en tant que 'alim. Il était vénéré et respecté par ses tolba étudiants, par la population et par le Makhzen, car il avait un pouvoir et un rang social plus élevé.

      Après l'instauration du protectorat français, on assista au début de la décadence du pouvoir des fougaha. Al-Mokhtâr rapporte en parlant d'un faqih « Il était - que Dieu ait son âme - la ka'ba des visiteurs de toutes les couches de la population. Il est visité par les tolba, les étudiants, les oulémas, les chefs et surtout ceux qui sollicitaient son arbitrage pour régler leurs différends, et ceci en 1352 H (1933) avant l'installation totale dans la région de l'occupant qui a contraint tous les fouqaha à l'isolement loin de la vie sociale ».   

      Au passage, nous notons que la valeur du faqih réside dans les sciences religieuses qu'il a acquises après de longues années de labeur et qui lui permettent d'exercer des fonctions en faveur de la tribu. Quelles sont donc ces fonctions ?

      a - L'enseignement des tolba.

      Le faqih enseigne les tolba qui ont déjà maîtrisé le Coran par coeur. Il est le maître dans son institution pour imposer aux étudiants en sciences religieuses les programmes nécessaires pour les différents niveaux, car généralement, on trouve dans les médersas soussies trois niveaux ; les débutants, les moyens et les plus avancés.

      En enseignant les différentes sciences religieuses, il apprend encore lui-même les matières qu'il n'a pas bien assimilées. Ce fut le cas d'Al-Mokhtâr quand il enseignait à Marrakech. « Mes connaissances en exégèse et tradition prophétique étaient faibles. J'espère encore finir ce que j'ai commencé à propos de l'histoire. Pour la géographie, j'ai une connaissance simple, en revanche je suis doué en biographie du Prophète, mais mes étudiants sont meilleurs que moi, bien que je la leur aie enseignée ».   

      Un faqih de grande renommée attire les étudiants tolba de toutes les régions, et une fois qu'il est bien entouré, il sort même de la médersa en leur compagnie pour conseiller les populations chez elles, dispensant un enseignement ambulatoire  « Lorsqu'il a constaté que les gens avaient senti un ardent désir de le voir, il prit la décision de faire des pérégrinations dans toutes les tribus du Souss avec ses tolba étudiants. En même temps, il conseillait les gens sur leur vie, leur comportement et relations. Il apaisa les discordes et trancha dans des affaires qui ont provoqué des guerres endémiques ».   

      Ainsi, nous remarquons que l'enseignement du faqih ne se déroule pas uniquement entre quatre murs, il va vers la population sans que celle-ci vienne vers lui.

      Il existe aussi une autre sorte d'enseignement à laquelle procède le faqih lors des moussems dans le Souss, tel que le moussem de Taou'llât, de sidi Bibi, de 'Allal, des Aït I'zza, et de sidi Mzâl. Ces moussems étaient pour les tolba de vrais examens. Al-Mokhtâr nous dit à ce propos « Quand il reste au moussem de sidi Bibi une quinzaine de jours, le faqih de la médersa prépare ses tolba étudiants au moussem. Il leur donne tout ce qu'il leur faut pour les trois jours que dure le moussem, durant lesquels se déroulent des compétitions entre les tolba venus de toutes parts. Une fois arrivés à l'endroit qui leur est réservé parmi les lecteurs, les groupes de tolba récitent à tour de rôle le quart d'une fraction du hizb. Cependant, les autres groupes présents observent les lecteurs pour compter leurs fautes, et quand c'est le cas, ils applaudissent et la foule aussi. Il arrive qu'on les chasse à cause de leurs fautes répétées, et cela les rend insignifiants durant toute l'année aux yeux du faqih et aux yeux de la population ».  

      A cette occasion, c'est la population qui participe à l'évaluation de l'apprentissage des tolba et de l'enseignement du faqih. C'est aussi un moment qui incite les pères à conduire leurs enfants avancés dans l'apprentissage du Coran, chez le meilleur faqih, pour lequel le moussem a fait une bonne publicité.

      Nous signalons que le Coran n'est pas la seule matière des compétitions, les tolba étudiants font appel aussi à la poésie arabe mémorisée des grands poètes ou composée par eux-mêmes.

      Signalons enfin que certains fouqaha préfèrent enseigner les mineurs et refusent les plus âgés à cause de leur mauvais comportement.

      b - L'éducation des fouqarâ.

      Le faqih peut être aussi un soufi appartenant à une tariqa, comme ce fut le cas du père d'Al-Mokhtâr et tant d'autres. Les grands fouqaha peuvent être les disciples des chouyoukh soufis analphabètes, car ici, il s'agit d'éduquer les âmes et non pas les raisons.

      Pour être membre de la tariqa, il faut « se repentir de tous ses pêchés, pratiquer le dhikr cent fois en demandant l'expiation, prier le Prophète cent fois, mille haïlala : [lâ ilâha illa allâh] ( il n'y a de Dieu que Dieu) pour celui qui est taleb, et trois mille pour les autres suivant la capacité de chacun. Pour les femmes, en plus de ceci, elles doivent se soumettre à leur mari et bien s'occuper de leur foyer »   

      Les fouqaha qui ont adopté la doctrine d'une confrérie quelconque assurent, en plus de l'enseignement, l'éducation spirituelle. Ils donnent des autorisations (Idhn) à leurs taleb. A titre d'exemple, le cheikh Abou Al-abbâs Al-jichtimî a autorisé le savant Ahmed Al-Gsîmî et lui a enseigné le wird Al-Nâcirî.  

      L'objectif visé par cette éducation est d'aiguiser les esprits et purifier les âmes. Al-Mokhtâr dit en parlant de Mohamed ben Ibrahim, le cheikh Al-Jazoulî « Il a passé une période non moins importante de sa vie dans l'enseignement, tout en s'occupant en même temps de l'éducation des mouridines [...] Il était un cheikh éducateur parmi les nombreux chouyoukh éducateurs du Xème siècle (XVIème) et avait des tolba étudiants pour l'enseignement et des fouqara pour le soufisme ».  

      Nous observons à travers ces textes, qu'un faqih peut dispenser aux taleb étudiants et l'enseignement et le soufisme. Ce fut d'ailleurs le cas de Mohamed Al-Mokhtâr Al-Soussi durant ses études avant son installation à Fès. Outre l'enseignement reçu, il fut aussi soufi durant au moins une partie de sa vie, comme nous l'avons déjà mentionné auparavant.

      Y a-t-il donc un avantage pour les étudiants que leur enseignant soit faqih et soufi à la fois ?

      Certes, la réponse est affirmative dans le contexte social des soussis, qui, attachent une grande importance au comportement et à la conduite. Le 'ilm dépourvu d'éducation n'est que paille sans grains.

      En plus les attitudes des fouqaha et des soufis vis-à-vis des tolba diffèrent : Quand un taleb commet une faute grave, le faqih le renvoie définitivement de la médersa, par contre le cheikh soufi pardonne au taleb sa faute et l'éduque en lui conseillant d'acquérir d'abord le 'ilm avant le soufisme.

      Al-Mokhtâr rapporte « J'étais à ce moment là novice, indiscipliné, bédouin impoli, mais grâce à sa diplomatie, (son cheikh) il a pu me donner une gorgée qui m'a rendu ivre du soufisme. [...] Dites à un tel de suivre mon conseil. Qu'il s'oriente en premier  vers les sciences religieuses, afin qu'il soit le savant des savants, car le savant des fouqara, n'est pas vraiment savant. C'est ainsi que sidi S'id m'orientait par mon cheikh»   

      Nous notons qu'Al-Mokhtâr a bien suivi les conseils de ses chouyoukh et enseignants, et comme nous le constatons, l'éducation à traits soufis exige du disciple la soumission totale. Le cheikh Al-Jilâlî a dit du cheikh qui éduque « Sois pour ton cheikh comme le mort devant celui qui lui fait sa toilette. Il manipule son corps comme il veut sans que celui-ci manifeste la moindre résistance ».  

      c - Al-Imâmat pour les prières.

      Le faqih est l'imâm qui préside aux prières, surtout la prière du vendredi que les fidèles doivent observer en laissant tous leurs travaux « Ô croyants,lorsque vous êtes appelés à la prière du vendredi, empressez-vous d'aller rendre vos hommages au tout-puissant.Que rien ne vous arrête! Votre zèle aura sa récompense. Si vous saviez ! »  

      Par la même occasion, il expose aux fidèles la khoutba ou prône religieux, et que certains n'hésitent pas à exploiter à des fins politiques ou idéologiques.

      d - L'arbitrage.

      Par ses connaissances approfondies en droit islamique se rapportant à la doctrine malékite, Le faqih jouit de tous les atouts pour exercer la juridiction, émettre des fatwas et régler les conflits individuels ou collectifs sans pour autant qu'un lieu déterminé soit désigné pour ce genre d'interventions. Le faqih est arbitre dans la mosquée, la médersa, la zaouia ou dans le souk. Il n'y a pas de formalité à respecter. Pour lui, tout lieu est « tribunal » Tous les lieux où les gens se rencontrent sont propices pour régler leurs conflits. « Nous sommes allés voir le faqih qui avait l'habitude d'arbitrer dans le souk, car c'était la coutume en ces temps dans les tribus soussies, avant la mise en place des juges officiels ».   

      Dans la médersa, le faqih est le grand juge.  Les soussis ont mis en place des règles obligatoires à respecter et des lois inviolables, tout en établissant un ensemble d'amendes correspondant au crime, délit ou infraction commis vis-à-vis des marchands au souk ou aux moussems, de leur Agadir où sont protégés leurs affaires et ravitaillement, de leur faqih, 'alim ou taleb même par simple insulte ou vis-à-vis d'un Juif sur son chemin ou dans son mellah. Ils ont été très fermes dans le respect de ces lois et désigné les Inflas, les membres de l'assemblée de chaque tribu qui se réunissent dans la médersa en cas de problème. Le faqih enseignant reste le grand arbitre, à qui il revient de prendre les décisions adéquates selon la chari'a islamique.  

      Grâce à cette observance, les sciences religieuses ont bien progressé dans les médersas du Souss et les tolba étudiants affluèrent des régions lointaines pour apprendre les 'ouloum et les lectures du Coran.

      e - La gestion de la médersa.

      Le faqih est le maître dans sa médersa. C'est à lui qu'incombe de mettre en place le règlement interne ainsi que la gestion de la médersa. En plus de la fonction d'enseignant, il est « directeur », « surveillant » et « économe»

      Le faqih veille à ce que dans sa médersa les tâches soient exécutées dans de bonnes conditions. Il lui incombe d'élargir son institution si le nombre des tolba étudiants devient important. Il veille aussi sur les propriétés de la médersa et applique le règlement interne en sanctionnant les tolba qui le transgressent.

      Le faqih se considère responsable vis-à-vis de chaque taleb étudiant depuis son arrivée dans sa médersa jusqu'à son départ. Il lui donne une chambre, sa ration alimentaire et contrôle son comportement dans les moindres détails, car les tolba étudiants dans la région du Souss sont réputés pour leur grivoiserie et leur mauvais comportement allant jusqu'à la profanation et à des actes immoraux dans les médersas considérées comme lieux sacrés. Al-Mokhtâr dit à ce propos « C'est ce qui est courant dans ce milieu entouré de la mauvaise discipline des tolba dans les médersas sans pudeur ni barrière morale ».   

      Nous rappelons qu'Al-Mokhtâr était un écrivain de « Al-yamine » de la droite ce qui implique qu'il n'a pas tout dit !

      Il rapporte encore en parlant d'un faqih qui cherche un lieu saint pour l'enseignement de son propre fils. « Il est au courant de la vie sociale dans les médersas des sciences religieuses soussies qui contiennent des jarâthîm wa microubât (des germes et des microbes) qui affectent la droiture et la bonne conduite, et que nul ne peut s'en débarrasser durant toute sa vie s'il en est contaminé ! Ainsi, il a choisi d'éloigner son fils de ce milieu des tolba en l'intégrant dans le milieu des fouqara ».   

      Voyons encore un autre passage allant dans le même sens. « Il m'a conseillé que je préserve mon coeur et ma conduite afin qu'ils ne soient pas pollués par ce qui est courant entre les tolba des médersas. Et puis le cheikh nous dit : celui qui cherche le 'ilm dans ces médersas dépravées où la piété est refoulée, est comme celui qui est entré dans un lieu d'aisance, qu'il fasse ce qu'il ne peut faire que là ! [...] Mais puisque le 'ilm est nécessaire, on ne peut pas se passer de ces médersas malgré leurs défauts ».   

      Nous avons essayé de noter ces témoignages implicites sur le non dit, pour attirer l'attention sur la lourde tâche du faqih. Il est le seul à gérer tout ce qui a rapport avec sa médersa, y compris les relations humaines les plus complexes. Tout ceci implique la mise en place d'un règlement aidant le faqih à mener à bien sa mission.

      Nous notons que les règlements internes dans les médersas soussies diffèrent suivant les besoins de chacune d'elles, mais gardent en même temps une base commune concernant les prières, la lecture du hizb Al-râtib constant  , et la présence pour l'étude.

      Règlement interne de la médersa.

      Signalons dès le départ que ce règlement diffère d'une médersa à l'autre, et en somme, il n'est pas obligatoirement écrit. Il peut être tout simplement une coutume ancestrale répandue dans le Souss. Le règlement dans les médersas coraniques est beaucoup plus sévère que dans les médersas 'ilmyas/ 'atîqas, où les tolba sont beaucoup plus libres.

      Si nous prenons à titre indicatif le cas de la médersa Al-Ilghya    dans la région natale d'Al-Mokhtâr, nous remarquons qu'il s'agit d'un ensemble de règles à suivre selon la coutume.

      Le taleb qui manque la première inclination de toute prière, doit payer une amende d'une peseta.

      Celui qui arrive après le troisième arrêt pendant la lecture collective du hizb diurne ou nocturne a la même somme à payer.

      Celui qui n'a pas bouilli de l'eau pour les ablutions avant la prière de Al-fajr (l'aube) lors de son tour, paye une amende de deux pesetas et recommence son tour.

      Celui qui ne vient pas à la lecture de la khatma du Coran dans la coupole près de la tombe de sidi Mohamed ben Abdellah, paie une amende de quatre pesetas.

      Celui qui a manqué la séance des prières sur le Prophète la nuit du vendredi, après le hizb jusqu'à la prière de Al-'icha', paie une amende de quatre pesetas.

      Pendant le mois de ramadan, celui qui a le tour de la lecture de sahih Al-Boukhârî et ne se précipite pas à la séance, paie une amende de quatre pesetas et il est privé de la lecture ce jour là.

      Tout taleb qui s'absente pour ne pas participer aux services habituels chez le maître sidi Ali ou dans les champs, doit payer une amende de quatre pesetas.

      Quand les femmes apportent du bois pour la médersa, celui qui s'approche d'elles paie une amende de quatre pesetas.

      Celui qui coupe, avec préméditation, la corde du puits de la médersa doit la réparer et payer quatre pesetas.

      Celui qui vole de la menthe dans les petits jardins des tolba, paie le prix de la menthe volée au propriétaire et une amende de quatre pesetas.

      Celui qui vole quelque chose est fouetté cinquante coups en présence de tous les tolba.

      Nous soulignons que le règlement de cette médersa est basé essentiellement sur des amendes infligées aux tolba, sans doute à cause de l'influence du droit coutumier dans la région.

      Dans d'autres médersas, chaque faqih établit un règlement qui lui convient suivant les situations et l'effectif des tolba. Certains affichent même ce règlement    pour que chaque taleb soit averti :

      1- Tout le monde doit assister aux cours aux horaires bien précis.

      2- Tout le monde est obligé de pratiquer les cinq prières, de réciter le hizb al-ratib (fraction du Coran constante) et de lire attafriq.

      3- Tout le monde doit respecter l'enseignant, les camarades et les horaires des études.

      4- Tout le monde doit se montrer modeste dans sa conduite en évitant d'insulter, de frapper ou de posséder tout ce qui peut déranger l'enseignement. On ne doit pas être l'objet d'une plainte ni des voisins ni de ses camarades.

      5- Personne ne doit quitter la médersa pour une affaire quelconque sans l'autorisation préalable du faqih, qu'il soit présent ou absent.

      Sanction :

      Tout taleb n'ayant pas respecté ce règlement en totalité ou en partie est révoqué définitivement de la médersa.

      Nous notons que le faqih a plus de fonctions que le taleb de la mosquée ou de la médersa coranique, et qu'il ne s'adonne pas à l'exercice de certaines tâches touchant à la superstition comme le taleb dont les connaissances sont bien limitées. C'est sans doute grâce à son savoir très poussé et à sa place dans la société.

      Il peut aussi jouer d'autres rôles politiques ou sociaux dans la société suivant les situations.

      Certains fouqaha qui maîtrisaient bien la langue arabe, copiaient des livres et écrivaient des lettres à la demande des habitants. Ils jouissaient, avant la présence du colonisateur, d'un pouvoir considérable tant temporel que spirituel. Ce pouvoir a fini par être réduit et par conséquent le rang social des fouqaha diminua considérablement. Il est normal qu'il apparut parmi les fouqaha des personnalités qui luttèrent contre l'occupant et défendirent les valeurs de l'islam. Mais en agissant ainsi, ne défendaient-t-ils pas implicitement leur rang social ébranlé par les valeurs occidentales inoculées dans le tissu de la société traditionnelle soussie ?

      Voyons un peu ce que rapporte Al-Mokhtâr à ce propos. « Hier nous vivions dans la pleine tranquillité, et nous n'avions pas cru qu'il existait au monde un être qui vivait comme nous, sauf que nous voici aujourd'hui surpris par le colonisateur qui a transformé notre vie ».   

      Si la vie de la société a subit des changements d'après Al-Mokhtâr, les conditions des fouqaha et des tolba n'allaient pas être épargnées à leur tour.


6- Les rôles des institutions traditionnelles soussies.

      Si ces institutions d'enseignement traditionnel ont été crées par la société soussie, c'était dans le but de répondre à ses besoins en la matière. Mais est-ce que les dites institutions visaient uniquement le domaine de l'enseignement ou avaient-t-elles d'autres rôles à jouer depuis le début de leur existence, jusqu'à nos jours ?

      Il est certain que les médersas soussies avaient des relations très étroites avec l'orient islamique par le biais des voyages effectués en terres saintes pour le pèlerinage. Ces médersas avaient aussi des relations et des échanges avec Marrakech et Fès par les tolba soussis qui les fréquentaient pour suivre des études supérieures. « Le Souss a débordé du 'ilm et d'études. Des missions se succédaient vers Fès, Marrakech et même vers Al-Azhar [en Egypte]. Elles revenaient avec les productions des grands fouqaha, à tel point que presque tout ce qui est enseigné à Al-Qarawiyine, est aussi enseigné dans le Souss ».  

      A ceci s'est ajouté l'assistance de l'ancien Etat d'Iligh aux oulémas soussis. Il avait encouragé les fouqaha à emprunter la voie du 'ilm.

      Mais tout leur intérêt ne portait essentiellement que sur la question de la religion et de la langue arabe, outil primordial pour percer les secrets des textes saints et les énigmes dans le corpus surtout du fiqh malékite. Il faut savoir que les tolba soussis devraient tripler leurs efforts par rapport à leurs collègues de Fès qui ne se plaignaient pas d'obstacles linguistiques.


6-1 Rôle dans la diffusion de la langue arabe.

      Ce rôle fut joué relativement par les médersas des sciences religieuses plus que par les médersas coraniques où l'enseignement est dispensé en berbère Soussi, langue maternelle des imhdâren et du taleb enseignant.

      Le faqih, quant à lui, grâce à sa maîtrise de la langue arabe, donne des cours en arabe classique, tout en rappelant aux tolba étudiants les règles grammaticales en prose et en poésie afin que cela s'incruste bien dans leur mémoire.

      Avec la persévérance des fouqaha soussis, ces médersas ont formé dans les temps passés des cadres qui ont contribué aux diverses tâches dans la société soussie. Surtout les groupes qui ont pu rejoindre l'institut islamique, fondé à Taroudant, et ses annexes dans la région. Ceci grâce aux efforts déployés par l'association des oulémas du Souss.  

      Nous pouvons affirmer que ces médersas traditionnelles populaires ont bien joué leur rôle de diffusion des sciences de la langue arabe dans la région, avant d'être concurrencées par l'enseignement public instauré après l'indépendance.


6-2 Rôle religieux.

      C'est le rôle primordial de ces médersas traditionnelles depuis toujours. Elles se considèrent comme la source inépuisable pour les tolba et pour toutes les couches de la population soussie.

      Les fouqaha étaient à la fois des éducateurs islamistes et des enseignants en sciences religieuses. Ils étaient aussi des cadis, des prédicateurs, des soufis et des mouftis. Ils apprenaient aux gens tout ce qu'un musulman doit connaître à propos de sa religion et des pratiques du culte islamique suivant la doctrine Malékite.

      Grâce à ces médersas, par les fouqaha, les tolba et les soufis qui les fréquentaient, l'islam s'est enraciné dans la région, malgré les obstacles culturels qu'engendrait la langue arabe pour la majorité de la population soussi. Mais, pour remédier à cette problématique, les éducateurs et les enseignants recouraient à l'usage de la langue berbère Soussi et à la composition d'ouvrages en berbère. Voyons ce que dit Al-Mokhtâr à ce propos de certains fouqaha: « Et Dieu l'a guidé dans la traduction de la biographie du Prophète (BSDL) en langue berbère en deux volumes et Ryâd A-sâlhîne d'Al-Imâm A-Nawawi en quatre volumes ».  

      « Il a une femme qui a assimilé la traduction du Moukhtasar [ du cheikh Khalîl] par Al-Houzâlî en berbère. Il lui est arrivé que des gens étaient venus le consulter pour un avis juridictionnel et comme il n'avait pas pu comprendre leur cas, il leur a demandé de revenir plus tard. Mais sa femme lui dit que la solution à leur problème est bien détaillée par Al-Houzâlî ».  

      Notons aussi que, jadis, ces institutions avaient en plus du monopole du pouvoir spirituel, le pouvoir temporel.


6-3 Rôle politique.

      Les fouqaha soussis n'ont pas manqué de laisser leurs traces dans le domaine politique de leur temps. Ils sensibilisaient les tribus au jihad contre l'ennemi chaque fois qu'un danger menaçait la région du Souss, éloignée du pouvoir central.

      Al-Mokhtâr rapporte que les oulémas collaboraient dans ce sens en échangeant des correspondances. Ils envoyaient des lettres aux tribus pour s'entraider à se défendre en cas d'agression étrangère.

      « Voici ce qu'a écrit sidi L'arbî ben Ibrahim Al-Adouzî, le cheikh de Jazoula à l'époque : A tous les musulmans qui ont embrassé la religion du maître des Prophètes, que la paix soit avec vous. Sachez que vos frères de Oued Noun, des Aït Ba'mrân, et de leur voisinage ont sollicité votre secours contre l'offensive de l'ennemi mécréant. Secourez-les sans tarder, la situation est grave. Dieu dit : (Légers ou lourds, lancez-vous au combat, et luttez avec vos biens et vos personnes dans le sentier d'Allah. Cela est meilleur pour vous, si vous saviez)   . Il dit aussi : (combattez alors les chefs de la mécréance car, ils ne tiennent aucun serment - peut-être cesseront-ils?)   .

      Ne soyez pas en proie à la paresse et aux rumeurs. N'écoutez point les dires des pessimistes et sachez que nous avons reçu des lettres [des fouqaha] d'incitations d'appel au jihad dans les souks ».   

      Ces lettres et publications émises par les oulémas attirèrent l'attention du colonisateur qui traqua les auteurs. Al-Mokhtâr rapporte en parlant d'un faqih:« Il a été convoqué avec ses tolba étudiants munis de leur planchette pour comparer l'écriture d'une publication avec celle des planchettes ».   

      Il arriva aussi que les fouqaha se soulèvent contre le pouvoir des sultans quand les intérêts de leurs médersas étaient touchés. « Parce que, avec le pouvoir des sultans il ne restait plus ni aumône légale, ni dîmes. L'influence des fouqaha dans leur pays disparaissait, ce qui entraîna la décadence des médersas 'atiqas. Les sultans avaient l'habitude de tout ramasser avant de regagner leur capitale : Marrakech, Fès ou une autre ville ».   

      Nous soulignons que de telles situations ont poussé des fouqaha soussis à émettre des fatwas allant jusqu'à préconiser la destruction de la maison de tout individu qui collaborerait avec le Makhzen et même à le tuer en considérant ses actes plus graves que l'assaut de l'ennemi.

      Mais en même temps, ils priaient Dieu en toute occasion, pour protéger et glorifier les sultans, tant que ceux-ci ne leur demandaient rien pas même un grain de sel.

      Ceci explique que le Makhzen s'intéressait aux grands fouqaha qui exerçaient une l'influence solide au sein des tribus ou dans les villes. Pour maintenir de bonnes relations entre les deux parties il leur témoignait les plus grands égards et les exonérait des corvées exigées du reste de la population. En échange, ceux-ci jouaient un rôle modérateur et prêchaient la soumission au pouvoir établi, en se basant sur la



16/10/2007
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